Histoires vraies du Dedans

Histoire de Chasséleille, par Matei

27 novembre 2021

Temps de lecture : 2 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.


 

Un billet de 10 lei

J’ai eu une bonne amie, elle s’appelait “6 lei” (la monnaie roumaine, au pluriel, se prononce “leille”. Le chiffre 6 se dit “chassé”, d’où le surnom de la petite fille), on l’appelait comme ça : “Şaselei” [Chasséleille], mais son vrai nom c’était Doïna. Elle avait deux ans de plus que moi et c’est avec elle que je passais du temps dans les rues de la ville. Elle venait aussi à la maison et j’ai même voulu me marier avec elle mais un andouille m’a pas laissé.

Chasséleille, si on lui donnait 10 000 lei ou 100 000 lei, elle les jetait par terre, elle en voulait pas. Ce qu’elle voulait, c’était de la monnaie, elle voulait chasséleille (6 lei), et elle vous jetait le billet à la figure en vous lançant du venin. C’est qu’elle était un peu folle. Toute la journée, elle la passait à mendier dans les rues de la ville. Pour elle, les billets étaient pas de l’argent, il n’y avait que les pièces qui lui plaisaient bien… Dès qu’on la croisait, elle demandait “6 lei”. Mais comment faire 6 lei ??? Alors ça donnait ça : Elle : « Donne-moi 6 lei ». « Tiens, prends 10 000 ». « Mais va te faire foutre ! ».

Et l’histoire de Mioara et Paula. Parce qu’il y en a une qu’est une femme et l’autre un homme. Je le sais parce que mon oncle en a tenu une, Mioara. Elle était un temps avec mon oncle avant qu’ils se séparent, et elles sortaient, les deux femmes, je sais pas ce qu’elles faisaient, sincèrement, je crois qu’elles se mettaient les doigts dedans, je parle sérieusement ! C’étaient Mioara et Paula. Et Chasséleille, elle mendiait pour elles deux. Elles sont encore ensemble, elles vivent à deux, elles boivent à deux, elles dorment à deux, elles font des sous à deux… Elles lavent les escaliers dans les immeubles. Elles ont un garçon ensemble, Vidré il s’appelle… Il est handicapé, il est à Boraneşti.

Matei, Tarascon 2016. Traduit du roumain par Laure Hinckel.