Histoires vraies du Dedans

Première prison à 14 ans, par Pistruiatul

6 novembre 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.


On m’appelle Pistruiatul1. Nous sommes des voleurs, car c’est comme ça que ça s’appelle aujourd’hui. Papa était rentré depuis trois mois, il avait trois maisons et moi j’allais à l’école ! Mais un cousin vient me trouver pour qu’on vole un porc à la ferme d’État. On est allés le voler, on l’a vendu pour je sais plus combien. J’étais dans le bus, je mangeais un gâteau, j’avais une bouteille de Pepsi, je m’en rappelle même si ça fait des années. Et j’ai trouvé ça bien, cette vie, alors j’ai continué. Je suis allé de nouveau voler un cochon, un gros de 34 kg, pendant que mon cousin (ce gros malin), il a rien trouvé de mieux que de frapper le gardien avec une pierre à la tête. Première prison, 3 ans. À la sortie de Bacău, la prison pour mineurs, j’ai vu les gens comment ils étaient habillés et j’ai continué sur ma lancée. J’ai volé et je suis pas resté en liberté plus d’un mois. Retour en prison. Puis à ma libération, je me suis marié avec une fille de Bucarest, une tzigane des villes.

On m’a trompé sur elle, elle avait juste 12 ans et demi alors qu’on m’avait dit qu’elle en avait 14. Je l’ai trouvée au marché, je l’ai amenée à la maison, je l’ai emmenée au cinéma, puis il y a eu des discussions avec ses vieux : « Oui oui oui » et ils ont insisté en disant qu’elle avait 14 ans. Finalement au bout d’une année, pardon de vous dire, elle est pas restée ma tzigane parce que nous on veut des enfants et ça faisait déjà plus d’un an sans rien. Alors ma mère lui a dit : « Ouste, tu retournes chez toi »… Ma tzigane, pardon, elle savait pas ce que c’était le sexe et elle est rentrée chez elle, mais pour revenir ensuite. Et elle m’a attendu, car il s’agit de parler honnêtement, elle m’a attendu pendant trois mandats. Elle en avait marre, c’était une jeune tzigane elle a finalement voulu voir la vie de son côté… C’est la pauvreté et les femmes qui mènent les hommes dans la grande misère. Et je suis plus ce que j’ai été.

Si on a fait de la prison depuis tout petit et qu’on arrive à notre âge sans maison, sans famille, nos enfants, on les a pas élevés et les grands-parents, allez savoir comment ils les ont éduqués. J’ai 42 ans, je sors en … 2018. J’aurai 45 ans, qu’est-ce que je vais faire à 45 ans ? Pas de travail, pas de métier, je ne connais absolument rien. Quand je rentrerai chez moi à 30 km de Bucarest, je me dis : pas de maison, pas de voiture, tout le monde a sa vie là-bas… Il se passe quoi si je me repens pour de vrai, quand je sortirai Dieu me verra comme je suis. Je veux laisser la boisson, ne plus voler, tout. Si je sors, je fais quoi, je peux prendre un emploi à 150 euros ? C’est à ça que correspond un salaire roumain. Alors j’ai pensé à ce qu’il y a de mieux. Soit je meurs en prison soit je fais comme tout le monde, maison, famille… Mais comme je suis en prison depuis l’âge de 14 ans, quand je sortirai, je continuerai ce métier parce que je n’ai pas le choix.

 

1 : “Le Rouquin” fut une série TV très populaire dans les années 70 en Roumanie. Réalisée à des fins de propagande, elle mettait en scène les aventures d’un ado de 13 ans dans les années 40, avant l’instauration du communisme. Le jeune héros se retrouvait à aider clandestinement un militant communiste dans l’attente du renversement de pouvoir.

 Pistruiatul, Tarascon 2015. Traduit du roumain par Laure Hinckel.