Histoires vraies du Dedans

La maison aux djinns, par Zeïn

6 novembre 2021

Temps de lecture : 2 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.


C’est une histoire vraie. Il y en a qui n’y croient pas, moi j’y crois. La vieille, elle-même, me l’a racontée le lendemain, et elle a juré sur le Coran qu’elle avait vu tout ça.

C’est donc l’histoire d’une vieille femme. Une voisine. Elle a demandé un jour à la municipalité de lui attribuer une maison. Il se trouve qu’il y avait une maison fermée dans le quartier. Ça faisait plus d’un siècle qu’elle était inoccupée. Elle a fait une demande, elle leur a dit que, peut-être, elle pourrait, elle, l’occuper, cette maison, puisque de toute façon personne n’y habitait. La maison est vide, elle s’est dit : « Je m’y installe, ça sera toujours mieux que de payer un loyer d’un an ou deux alors que je ne suis même pas sûre de vivre aussi longtemps ».

La municipalité a accepté. Ils lui ont donné les clés. On a fait une réunion de voisins, et nous, les gosses, on est entrés, on lui a fait un grand ménage, on a refait la peinture… Et puis elle s’est installée.

Pour la première nuit, elle a préparé un dîner et a mis le plat sur la table. Elle l’a laissé en le couvrant d’un tissu comme c’est l’usage. Elle a mis un peu d’eau… Tout ce qu’il faut pour eux. Parce qu’elle savait. On lui avait dit qu’il y avait des esprits dans cette maison, parfois on entendait les fenêtres claquer même s’il n’y avait personne à l’intérieur. Des bruits comme si c’était habité par une présence. Elle l’a fait pour eux ce dîner. Et la nuit ils sont venus, ils ont mangé. Le lendemain en se réveillant, elle a vu : ils avaient tout mangé. Tout mangé. Elle s’est dit : « Alors ce soir, il vaudrait peut-être mieux que j’égorge un coq. Il faut verser du sang dans cette maison. Oui ce serait bien ».

Elle égorge donc un coq. Elle décide de préparer du henné en plus ; le soir elle s’y met, et elle entend une voix de fille qui lui dit : « Moi aussi je veux bien que tu m’en mettes »… Une main s’est tendue. Et la vieille, elle lui a mis du henné à cette main. Le plus étrange c’est que ce n’était pas une main comme nous, c’était un pied de cheval. Je vous jure – c’est la femme qui me l’a raconté. Elle nous l’a raconté à nous, aux voisins, à tout le monde. Cette main qui s’était tendue, c’était un sabot d’âne, de cheval peut-être… Elle l’a prise et lui a mis du henné. La vieille n’a pas eu peur. Voilà. Elle s’est installée dans cette maison et a dit qu’elle n’avait plus entendu de bruits. La seule chose, c’est qu’elle leur laisse à manger parfois et qu’ils viennent. C’est tout. Sinon il n’y a rien à la maison. Ils ne l’ont pas inquiétée, et elle y vit encore aujourd’hui. Elle n’a jamais eu peur.

 Zeïn, Toulon 2016. Traduit de l’arabe par Lotfi Nia.