Histoires vraies du Dedans

J’ai tué la chèvre de la voisine, par le Paysan

23 octobre 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.

 

Que fait un petit enfant qui vit à la campagne ? Qui a des poules, des canards ? À 5 ou 6 ans, je portais une brassée d’herbe aux vaches, à la basse-cour. Je jouais avec les poussins, il m’arrivait de les serrer si fort que je les étouffais. Grand-mère ne me disait rien. Elle trouvait les poussins morts et moi je disais : « Qui sait ? Peut-être que c’est un animal qui est passé par là et qui les a tués ? ». Elle me répondait : « Non, je sais, c’est toi qui les as étranglés…». Et moi je disais : « Nooon… ». La vie d’un petit enfant à la campagne est faite de ces petites histoires. Chez mes grands-parents, loin de la ville, j’ai eu une jolie petite enfance. Je peux dire que même chez mes parents je n’étais pas aussi bien. Ils me passaient absolument tous mes plaisirs.

Quand j’ai un peu grandi, je suis allé à l’école. Je n’y allais jamais sans quelques sous dans la poche, j’en avais même pour les autres enfants. Mes grands-parents avaient de l’argent, une bonne situation. J’ai eu une enfance chargée d’événements. On allait, avec les autres enfants, piquer des cerises dans le jardin des voisins. Et pourtant il y en avait dans notre verger. Grand-mère me disait : « Tu n’as pas ce qu’il faut à la maison ? Des abricots, des cerises, le jardin en est plein ! ». Mais je crois bien qu’elles avaient meilleur goût, les autres…

On en a vécu des péripéties…

Un jour je suis resté coincé dans un abricotier… le propriétaire m’attendait en bas avec un gros bâton ! Je suis resté là pendant quelques bonnes heures jusqu’au moment où grand-mère l’a appris, par l’intermédiaire des autres enfants. Elle l’a engueulé : « Tout ça pour trois abricots ! Venez, je vous en donne tout un seau ! À quoi ça ressemble de laisser le petit coincé là-haut, sans manger, sans pouvoir se soulager ? S’il a été bête, c’est bien de ne pas vous avoir pissé sur le haut du crâne ! »

Toujours chez ma grand-mère. Un jour, elle se dispute avec la voisine… Et c’était encore à cause de moi. Elle avait un jardin plein de fleurs, et moi, sur le chemin de l’école, un jour, j’ai voulu apporter un bouquet à la maîtresse. Mais la voisine m’a surpris et elle m’a flanqué une correction… Grand-mère tenait beaucoup à moi : elle n’a pas eu de fils et elle s’est engueulée avec la voisine, à cause de moi. Et voilà que la voisine lui donne un coup de bêche sur la tête ! Vous pensez bien qu’elle a fait quelques jours d’hôpital. Pendant ce temps, celle qui m’avait pris ma grand-mère, qui me manquait énormément, j’ai commencé à la détester. Pensez donc que j’étais seul avec grand-père, et lui, il était plus dur : il ne me donnait pas un sou. Cette voisine qui avait fendu le crâne à ma grand-mère, je la haïssais de plus en plus.

Elle avait une chèvre qu’elle maintenait au bout d’une chaîne, attachée à un arbre du verger. Alors j’y suis allé et je lui ai pendu sa chèvre. Je l’ai étranglée avec la chaîne. J’ai tué la chèvre de la voisine !

Dans cette histoire habilement menée, le narrateur utilise tous les codes d’une histoire du conteur roumain Ion Creanga (1837-1889) : le milieu campagnard, la truculence, parfois l’obscénité bien utilisée… et l’auto-ironie nationale. Dite en pouffant de rire, la dernière phrase est une sorte de parodie d’un proverbe populaire. « Que meure la chèvre du voisin » signifie tout le mal que l’on souhaite à celui qui a plus que vous et que l’on envie pour cette raison.

Le Paysan, Marseille 2016. Traduit du roumain par Laure Hinckel.