Histoires vraies du Dedans

C’est Dieu qui m’a élevé, par Teodor

16 mai 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Cette histoire est tirée du volume 1 des Histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2015-2016 dans les centres pénitentiaires des Baumettes à Marseille et Toulon-La Farlède, le centre de détention de Tarascon et à la Valentine, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs.

 

Je suis parti de Târgu-Mureş quand j’ai eu 18 ans. Je suis parti parce que je n’avais pas d’argent. On était 6 enfants, trois garçons et trois filles, on était pauvres. Mon père est mort quand j’avais deux ans et ma mère, elle a refait sa vie et elle est avec son homme à elle, de son côté. Je suis arrivé à Marseille, près de mon beau-père et de ma mère qui s’y trouvaient déjà depuis un an. Je ne connaissais pas assez bien la ville pour errer dans ses quartiers et me faire de l’argent. Alors quand je sortais, c’était avec des amis pour connaître les lieux où rôder… Quand je me suis fait à la ville, j’ai acheté une voiture et je suis parti avec mon grand frère, on a rôdé ensemble… à la recherche de ferraille, de cuivre, d’aluminium, pour revendre ça à un dépôt… On a mis un peu d’argent de côté pour quand on rentrerait en Roumanie. Finalement je ne suis plus parti, je me suis habitué à la France. Je suis tombé sur une association qui nous a berjat, comme on dit ici, hébergés, qui a fait en sorte que j’aie l’allocation pour enfant et donc je ne suis plus reparti.

La France est devenue notre pays, comme la Roumanie l’était avant. Puis j’ai fait venir toute la famille. On s’écoutait les uns les autres. Mais à partir du moment où on a eu des sous, on s’est séparés, on a eu chacun notre maison. Le fait d’avoir de l’argent a changé les choses entre nous. La jalousie est un sentiment qui a commencé à prendre place entre nous. C’était comme c’était, quand on est partis, mais au moins on était ensemble et si on avait à manger, il y avait à manger pour tout le monde. Maintenant, si j’ai un morceau de pain, je le mange seul. C’est très sérieux, ce que je dis. Aujourd’hui les trois frères on est chacun chez soi, ma grande sœur qui m’a élevé, elle vit avec moi. C’est Dieu qui m’a élevé, mais elle, elle a eu soin de moi.

Le chanteur roumain Sorin Copilul de aur

J’ai un petit garçon d’une semaine. Je ne l’ai même pas encore vu. J’attends que ma femme m’envoie une photo. Je ne sais même pas comment il s’appelle. J’ai dit à ma femme de me faire un garçon, pour que je puisse le prendre avec moi plus tard, en voiture, lui raconter la vie, quand j’irai boire un coup au café. Mais pas tout de suite, quand il aura 16-17 ans, je lui raconterai tout ce que j’ai fait dans ma vie pour qu’il ne commette pas les mêmes erreurs. Moi je veux que mon fils ait une belle vie. Et je veux le marier, avec une belle femme, avec une reine, que je lui achèterai avec beaucoup d’argent. Et je lui ferai des noces… il aura des noces comme Guţa à Timişoara. Et puis je mettrai sur internet ses noces, que tout le monde sache qui est le fils de Teodor de Târgu-Mureş, qu’on sache qu’il a eu un père, pas un type qui l’a laissé tomber, qu’il ait tout ce qu’il faut dès le départ, pas comme moi qui me suis élevé à la force du poignet. Comme dit le chanteur Sorin Copilul de aur1, dans sa chanson “Je suis parti de rien”.

1 : Nom de scène d’un jeune chanteur rom né en 1990. Symbole du chanteur gitan auteur de “manele”, ces chansons de variété entre le turbofolk serbe et la musique orientale.

Teodor, Marseille 2016. Traduit du roumain par Laure Hinckel.