Histoires vraies de la Cabucelle

La totale, par Farid

18 avril 2021

Temps de lecture : 5 minutes

Une histoire collectée par Mohamed Kacimi et Benoît Guillaume dans la résidence ALOTRA du boulevard Viala, dans le quartier de la Cabucelle de Marseille.

 

Né à Marseille

Farid, par Benoît Guillaume

Je suis né à Marseille, ma famille venait des Aurès d’Algérie, c’est entre Gap et l’Afghanistan. J’ai trois frères qui sont nés là bas, une famille normale. Mon père a été invalide très jeune. Il a travaillé dans une fonderie, il est mort d’un cancer du poumon. Il a fait son temps très vite mon père. On a eu une belle vie, même à Noël on avait droit à des jouets, pourtant ils étaient musulmans les parents. Je maîtrise très bien la langue française, mais on m’a foutu à la porte de l’école à la fin de la sixième. Pourtant j’aime la langue française. Je suis fier d’être né en France.

J’ai fait mécanique auto, pourtant j’aime beaucoup la France. J’ai travaillé cinq ou six ans dans le même garage, je m’en sortais bien. J’ai fait beaucoup de bâtiment. Je me suis retrouvé à Cannes, puis dans la grande parfumerie de Grasse. J’ai tout arrêté d’un coup, le jour des attentats du 11 septembre. J’étais entouré de Français et quelqu’un a dit : « Mais regarde ce qu’ils ont fait ces enculés d’Arabes ».

Je me suis maitrisé, je me suis dit c’était pas ma place. Je ne supportais plus d’être avec ces cons. Je suis musulman non pratiquant, ça m’a tué, tué vraiment cette réflexion. Je me suis dit : « Je n’ai rien à faire dans cette société ». Moi qui croyait que je n’étais pas victime du racisme, voilà qu’on me renvoie à mes origines. Je me suis pris ça en plein dans la gueule. À partir de là j’ai fait un peu d’intérim, je travaillais 20 heures par jour. J’avais beau m’exprimer très bien en français, mais on n’échappe à ce qu’on est… il y a des cons partout.

 

Ma fille

Farid, toujours par Benoît Guillaume

Je travaillais beaucoup, je travaillais sur Cannes la nuit comme gardien au palais, et le jour à Grasse. Un jour, j’ai rencontré une nana qui vivait seule dans un foyer, on a fait ça vite fait, bien fait, puis je l’ai oubliée complètement, la nana. Un an plus tard, je tombe sur un pote qui me dit : « Farid tu te souviens de la nana avec qui tu es sorti ? ». Je m’en souvenais plus, le copain me dit : « Hé ben elle a eu une fille de toi ». Merde, j’ai compris qu’elle a fait un enfant juste pour profiter des allocs.

Je suis allé la voir la fille, elle devait avoir deux ou trois ans et elle criait : « Papa ! Papa ! ». Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais rien à lui offrir : je bossais plus, je buvais beaucoup. J’avais des problèmes, mais je peux pas dire que c’est des problèmes, puisque j’avais beaucoup de fric. Je buvais énormément, je voulais pas fonder une famille… Puis le temps passe, le temps passe, le temps passe et un jour un ami me dit : « Farid ! Ta fille a une fille ». Voilà comment je suis devenu grand-père, malgré moi !

J’ai pris contact avec ma fille et sa mère, elles m’ont invité à Noël, j’ai été les voir. Ma fille avait un super appartement, un grand duplex, elle s’était mise avec un maçon, elle avait un 4×4. Je me suis demandé ce que je foutais là dedans. Je faisais tâche sur la photo. Ce jour-là, pour me donner du courage, je me suis arrêté dans plusieurs bars alors qu’elle m’avait dit : « Farid, il y a pas d’alcool chez moi ». Mais faut pas déconner, un Noël sans alcool… Noël c’est pas l’Aïd, voyons ma fille. Ça c’est très mal passé ce Noël. Depuis ce jour-là j’ai coupé les ponts.

 

Les conneries

J’ai fait pas mal de conneries, pas mal. J’allais chercher la came à la source en Espagne. J’ai eu une villa et une voiture de sport, mes amis avaient des bateaux. J’ai vu l’argent, beaucoup d’argent. J’ai connu l’opulence, je buvais beaucoup, tous mes potes sont morts en prison ou handicapés. Je passais mon temps à Marbella, à Ibiza, les pesetas c’était pire que le dinar algérien. Quand il n’y avait pas 400 000 francs dans le coffre je disais que j’avais rien.

J’ai jamais vu l’utilité de l’Algérie, je n’en voyais pas la raison, c’est pas mon pays. Mon pays, c’est la France. Des fois, on me prend pour un Italien, pour un Juif, parfois pour un Français. J’ai vécu dix-sept ans avec une dame, elle était grand-mère deux fois, on avait dix ans d’écart. Elle faisait partie du milieu, elle aimait trop le fric, mon père m’avait mis en garde. Au bout du dix-sept ans, j’ai pris mon sac et je me suis cassé.

 

SDF à Marseille

Je me suis retrouvé dans les hôtels à la porte d’Aix. C’était crade, plein de cafards, il n’y avait pas d’eau chaude. Je m’emmerdais dans une chambre pourrie, j’allais dans les bars, tout mon argent passait dans la bière. Un jour, je me suis dit : « Pour ne pas m’emmerder, je vais aller à la mosquée ». Je suis devenu musulman. Je ne buvais plus, je ne regardais plus les femmes dans la rue. Le vendredi, je quittais le boulot tôt pour ne pas rater la prière. Puis, petit à petit, dans ces hôtels pouilleux où il n’y avait pas d’eau chaude, j’ai commencé à avoir des boutons partout. Ça devenait incompatible avec la prière. Un soir, je suis allé prendre une bière, le mec du bar n’en revenait pas, je ne prenais que des menthes à l’eau. Il m’a dit : « Oh Farid qu’est ce qui t’arrive ? »

J’ai ouvert ma chemise, je lui ai montré les boutons : « Mais qu’est ce que tu veux que je fasse avec ça, pour faire la prière il faut être en bonne santé, faut être en forme ». Fallait choisir entre boire ou faire la prière, j’ai choisi de boire. J’ai arrêté de travailler, je me suis retrouvé à la rue. Je dormais dans les couloirs, j’ai fait la totale : arabe, musulman, SDF, alcoolique et bipolaire. La totale.

 

Les Baumettes

Mon plus mauvais souvenir c’est la prison. J’avais pris un an ferme aux Baumettes, avec ses crapules, sa misère, ses rats, c’est la jungle. Là où j’étais, c’était la racaille. J’étais à ma place, il n’y avait pas de Français. Les Français, les Corses et les grands bandits ils étaient dans le pavillon D, le pavillon des hommes, le reste c’était des animaux, nous.

J’ai fait de belles rencontres, les Baumettes c’était le club Med à la fin. Je me suis fait passer pour un psychopathe pour avoir une cellule tout seul. Dans les douches, je suis tombé sur des musulmans qui n’étaient pas de France, j’ai enlevé mon slip et ils se sont jetés sur moi : « Mais t’es malade, il faut se couvrir pour prendre une douche ! »

Moi qui croyais qu’on était entre hommes ! Il y avait plein de barbus aux Baumettes, le matin ils faisaient la prière et le soir ils vendaient de la poudre. Les barbus c’étaient tous des voleurs de sacs, des voleurs de vieilles dames. Tu vois, j’ai fait tous les monuments de Marseille : de la Porte d’Aix au Prado et de la Corniche aux Baumettes. Mais je ne plus très fier d’avoir été Français.

Farid, 62 ans