Histoires vraies de la Cabucelle

J’étais harki, par Mohamed

18 avril 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Une histoire collectée par Mohamed Kacimi et Benoît Guillaume dans la résidence ALOTRA du boulevard Viala, dans le quartier de la Cabucelle de Marseille.

 

Mohamed, par Benoît Guillaume

La guerre d’Algérie

J’ai oublié, j’ai tout oublié, ça fait du bien, je me souviens plus de rien. Ça fait du bien quand tu n’as rien dans la tête, j’ai soixante dix huit ans et j’ai rien dans la tête…

J’étais de Harrouch, pas loin de Skikda. Je me souviens de rien. J’étais harki. Tu connais le 4e RIMa ? C’est le Régiment d’infanterie et de marine, j’étais dans ce régiment. Non, ils ne m’ont pas forcé les Français. Je me suis engagé tout seul à dix-huit ans. Mon père avait servi dans l’armée française, mon grand-père aussi. L’un a fait 39-45, l’autre a fait l’Indochine. Puis les autres, les fellagas, les gars du FLN, ils cassaient tout, ils mettaient des bombes, ils tuaient…

C’était pas facile, on dormait jamais. Ils nous poursuivaient, dans les oueds, dans les montagnes, ça tirait tout le temps. Je ne sais pas si j’ai tué, je ne crois pas, je ne me suis jamais posé cette question. En tout cas j’ai beaucoup tiré, j’ai tiré tout le temps. Je ne sais pas si j’ai touché quelqu’un, ce qui est sûr c’est que j’ai tout oublié.

Quand les Français sont partis, le FLN s’est mis à nous chercher partout. Nous, les Algériens qui ont combattu dans l’armée française. Mes camarades, ils les ont égorgés, ils ont couvert leurs cadavres d’épines : ils mettaient des épines et ils jetaient les cadavres dessus. Des fois ils attachaient les harkis et les allongeait sur la voie ferrée, le train passait et les écrabouillaient. Moi, ils m’ont tiré dessus. Je me suis enfui, on s’est tous regroupés dans un village qui s’appelle Guelta Zerga, je ne sais pas si tu vois. Je suis arrivé à prendre le bateau de Skikda, tout seul.

La vie en France

J’ai payé cinquante francs et je suis arrivé à Marseille. Je suis allé directement à Sochaux. Là-bas j’ai servi dans une brasserie, j’étais chef d’équipe, mais qu’est ce qu’il faisait froid à Sochaux, mais froid. Je crois qu’ils ont jamais vu le soleil à Sochaux. Je me suis enfui, je suis allé à Toulon, dans le Var. Je travaillais dans les terrassements, puis à Salon-de-Provence, puis je ne sais plus… Grasse aussi…

J’ai jamais eu de maison, on habitait dans les Algeco, tout le temps. On suivait le patron, on vivait là où il y avait du boulot. Puis j’ai pensé me marier, je pouvais pas me marier ici donc je suis rentré au bled pour trouver une femme. Elle m’a donné deux filles, une est vivante, l’autre est morte. Je ne parlais à personne en Algérie, les gens quand ils me voient, ils disent du mal de moi. Ils disent que j’ai combattu avec les Français, que j’ai tué mes frères. Ils savent pas qu’en arrivant en France, je suis resté avec des papiers algériens.

J’ai passé soixante ans avant d’avoir la nationalité française, et quand j’ai eu la nationalité française j’ai demandé un passeport algérien. Moi j’oublie très vite, mais les Arabes n’oublient rien, ils aiment bien la rancune les Arabes. J’ai un ami qui était sergent dans le 4e RIMa, il a 82 ans. Chaque fois qu’il va au bled, il arrive à la douane et ils lui disent qu’il peut pas rentrer en Algérie. Ils nous ont tous fichés, normalement ils doivent dire : « Ça y est on efface tout, on oublie et on recommence à zéro », mais les Arabes ils oublient rien. Moi j’oublie tout, j’oublie même que j’ai tué. J’ai pas de haine moi, jamais, la haine…

Mohamed, 78 ans