Histoires vraies de Haute-Provence

Delon et Belmondo, par Dédé

28 mars 2021

Temps de lecture : 6 minutes


Une histoire collectée le 30 mars 2018 à Revest-Saint-Martin

Transcription de l’histoire audio

L’affiche du film Une chance sur deux, réalisé par Patrice Leconte.

On était en tournage dans les gorges du Verdon avec Belmondo, Alain Delon et Vanessa Paradis, dans le film Une chance sur deux. Il est passé à la télé encore il y a pas longtemps. C’était réalisé par Patrice Leconte avec qui j’ai travaillé assez souvent.

Je vais au casting, je suis pas pris parce que je suis arrivé en retard. J’avais rencontré probablement un essaim ou deux ! Je rencontre Patrice Leconte : « Ah ! Dédé, tu es là ! On va travailler ensemble ! ». Je lui dis : « Non, on travaille pas ensemble. J’arrive du casting. C’est fait ! ». Il va voir la régie, il dit : « Non, non, Dédé vous lui trouvez un emploi n’importe lequel, je le veux », mais il n’y avait plus de rôle, ou de demi-rôle ou acteur de complément.

Il me dit : « T’as toujours tes vieilles Mercedes ? ». Je lui dis : « Oui, j’ai toujours mes Grand-mère-cedes ». J’ai pas des Mercedes moi. Les riches, ils ont des Mercedes, moi j’ai des Grandmercedes. Alors, on va la voir. Il me dit : « Cette voiture, tu la mets propre. Je t’embauche pour aller chercher Alain Delon et Belmondo au Provence », là-haut à La Palud, où ils logeaient les gros acteurs. Vanessa Paradis, elle était ailleurs. « Tu vas les chercher, tu les retournes le soir ».

La voiture, elle était nickel. Ça sentait plus le chien, mais l’essence de lavande. J’arrive au Provence, je me présente. Les autres là-haut, ils appuient sur un bouton et Belmondo descend le premier. Lui, je sais pas pourquoi, il est comme ça : il me connaissait déjà sans me connaître. On parle un moment et au bout de cinq minutes, on se connaissait par cœur ! Puis tout d’un coup il dit : « Mais qu’est-ce qui fait ce con là-haut qui vient pas ? » et il va chercher Alain Delon.

L’hôtel Le Provence, à la Palud-sur-Verdon.

Je vois Alain Delon descendre. Je lui dis bonjour… Sur les neuf fois où je suis allé les chercher, neuf jours de tournage, jamais une fois il m’a dit bonjour, ni au revoir. Peu importe ! Il fait le tour de la Grandmercedes et il dit : « Je monte pas dans cette voiture ». Tu vois un peu la tronche du Dédé… La production qui attend de l’autre côté et lui qui veut pas monter dans la voiture… Belmondo il était déjà assis à côté de moi, une jambe par terre. Il voit la situation, il va le chercher, il ouvre la portière et lui dit : « Tu rentres dans cette voiture ou je t’en file deux ». Ça c’est Belmondo.

Bon ça va, on travaille deux jours parce que moi à La Poste, j’avais des congés artistiques sans perdre mon emploi. Après deux jours, on a un jour de congés où les gros acteurs ne travaillent pas. Donc moi je suis obligé de reprendre La Poste car la production prévient des jours où je suis présent et où je dois reprendre mon poste.

Belmondo il sait l’histoire et il me dit : « Demain je fais la tournée de poste avec toi ». Oh putain ! C’est interdit de transporter ! C’est totalement interdit ! J’ai pas pu le décider de ne pas le faire. Le soir il vient avec moi, il couche à la maison. À l’époque j’étais à Saint-Étienne-les Orgues et je tremblais. Transporter Belmondo ! Bon, il est brave mais… Alors on avait tout bien réglé.

Je lui dis : « Je te laisse en bas du parking de La Poste et tu sors pas de la voiture ! ». Il me dit : « Non non ! Je sors pas ! ». Je vais trier le courrier parce que je ne voulais pas qu’on le voit – ça aurait fait une histoire terrible, et je vais chercher la 4L de Poste pour le récupérer dans ma voiture. Il n’y avait plus Belmondo et il n’y avait plus de Grandmercedes ! Ça commençait bien ! Je monte avec la 4L dans le village et le retrouve au Ski Club. Il était déguisé en chasseur ! Personne ne l’avait vu et la voiture était en plein milieu de la route ! Je le ramasse, je l’engueule : il s’en fout !

On laisse la voiture, la Mercedes, et on va faire la tournée de poste. Je me suis dit : « Ça commence comme ça et on n’est pas encore à midi ! ». On arrive dans Cruis, il voit un bar, il entre : « Ah ! On va boire un coup ! ».
– Manque de pot, il y avait Coco. Il est malin Coco : « Et toi t’es Belmondo ! Toi t’es Belmondo ! ».
– Je réponds : « Mais non il lui ressemble mais c’est un contrôleur ! Mais t’es fou ou quoi ? ».

Le temps d’aller faire le bas du village, il y avait la moitié de Cruis qui me suivait. Je me dis : « La situation est perdue, mon receveur doit être au courant ». Et comme à l’époque celui-là, il était pas catholique, je laisse Belmondo à la Mercedes et j’arrive au bureau sans lui. Mon patron, il m’attendait sur le pas de la porte et quand il attendait un facteur comme ça, c’était mauvais signe. Il était tout sourire parce qu’il était content : il allait baiser un facteur. Il me dit comme ça : « Tu rends tes comptes et je veux te voir au sous-sol ».

L’acteur Jean-Paul Belmondo en 1998.

Dans l’administration, on a des PV administratifs quand on fait des conneries. J’en avais une cinquantaine, je répondais à aucun ! Je vois sur mon bureau un PV daté du jour et le patron me dit : « Vous avez transporté l’acteur Belmondo dans votre voiture, je vous demande des explications ! ». Moi je rends mes comptes et je descend au sous-sol. Il me dit : « Prépare ta valise, dans 48 heures je te mets sur le siège éjectable ». À deux ans de la retraite ! Je me suis dit qu’on verra bien.

Deux ou trois jours après j’arrive à La Poste, il y avait deux types avec les valises, la cravate, assez jeunes, qui étaient descendus du ministère. Nous voilà partis au sous-sol, en bas, pour parler avec lui et les deux gars. À mon patron j’avais dit que c’était pas vrai, bien entendu ! Je lui avais dit : « Faut que tu te fasses soigner là ! T’as vu Belmondo dans la voiture ? Moi je l’ai vu qu’au cinéma ! »

Aux deux inspecteurs de Paris, j’ai dit la vérité. Et l’autre il commençait à faire des bonds : « Ouais, tu me mens à moi et tu dis la vérité à eux ?! ».
– Je lui dis : « Regarde-les ! Ils sont beaux comme des camions ces deux-là ! ». Ils étaient très polis alors que lui… De toute façon je sentais bien que c’était la fin.
– Ils me disent : « Vous comprenez, s’il y avait eu un accident La Poste faisait faillite ! ».
– Je leur ai répondu : « Mais il n’y a pas eu d’accident ! ». Et je suis parti comme ça. J’ai jamais su comment ça s’est terminé.

Trois ans après, on revient sur ce truc-là avec un inspecteur à Digne et il me dit : « Écoutez, si on vous avait foutu dehors, que les médias avaient su ce qu’il s’était passé, surtout avec un acteur comme ça… On a bien fait de se taire ! ». Maintenant, Belmondo c’est la locomotive de la défense des abeilles. Quelques temps après, je lui raconte l’histoire. Il me dit : « Si j’avais été là, je te l’aurais attrapé… un coup de boule ! ». Tout ça, c’est la faute à Coco ! Grâce à lui, encore un peu et je sautais de La Poste !

Dédé