Histoires vraies de Haute-Provence

Fils ou petit fils ?, par André

7 mars 2021

Temps de lecture : 4 minutes


Une histoire collectée le 23 mars 2018 à Saint-Étienne-les-Orgues

Transcription de l’histoire audio

Ma vie a été très mouvementée mais très riche. Qui dit mouvement, dit très riche. D’abord je remercie ma grand-mère, mes parents : je suis l’aîné de quatre garçons, je suis né en 1949. Quand mon troisième frère Alex est né en 1956, ma grand-mère a dit à ma maman, qui était fille unique et qui était restée toute sa jeunesse à Limans, chez ses parents : « Bon tu en as trois, il faut que tu m’en donnes un. Il faut que tu me donnes un enfant. » Et le deal, ça a été moi. J’avais six ans à cette époque là et donc c’est comme ça que j’ai connu Lardiers, en 1956, une année où il a fait très froid : un matin -25°C au pied de l’escalier. C’est comme ça que je suis allé à l’école à Lardiers.

Au début ça été très compliqué pour moi parce que mes parents avec mes autres frères venaient tous les dimanches chez mes grands-parents, donc je passais le dimanche avec eux. Le dimanche soir ils repartaient, et moi je chialais. Je chialais parce que mes frères et mes parents partaient. Ma grand-mère Marguerite m’a donné beaucoup d’amour, c’est ce qui m’a sauvé certainement. Mon grand-père il m’a beaucoup aimé à sa façon, il était « brut de fonderie » lui. Il n’y avait pas un type dans le village à qui il n’avait pas dit que c’était un gros con voire même plus que ça ! Je suis allé à l’école dans ce village et moi, je ne comprenais pas pourquoi j’étais là avec mes grands-parents et mes frères avec mes parents.

Ma grand-mère, elle s’était marié par dépit avec mon grand-père parce qu’elle aimait un autre homme, ils s’aimaient follement mais les familles ne voulaient pas qu’ils se marient. Ma grand-mère était alors partie quelques temps à Montélimar et l’autre monsieur avec qui elle avait vécu une petite histoire d’amour s’est laissé mourir de faim, il est mort de chagrin.

Du coup, elle s’est mariée avec mon grand-père un peu par dépit. Il n’y avait pas vraiment eu d’amour entre mes grands-parents. C’était très dur. Je me rappelle des soirs où ça criait toujours ! Ils se tapaient pas mais le verbe était toujours haut. La chance que j’ai eu, c’est que cet amour qu’ils n’avaient pas entre eux, ils me l’ont donné à moi. Donc merci à tous les deux.

Le village de Lardiers. Crédit photo.

Par exemple, à cette époque-là, ma grand-mère mettait des galets de la Durance ou des briques dans le four du poêle à bois, et le soir elle les mettait dans une vieille chemise et les plaçait au fond du lit quand j’allais me coucher. J’étais au chaud. Il n’y avait pas de douche, elle me lavait dans une grande bassine en zinc. Elle me lavait sur la table de la cuisine, j’étais vraiment choyé. Mon grand-père, il m’a fait aimer la nature parce qu’il aimait bien chercher les truffes, les champignons…

Je me rappelle, quand j’étais avec ma grand-mère à Lardiers, il y avait le cinéma ambulant qui passait une fois par mois. J’ai vu des films cultes comme Ben Hur, Spartacus, Barabbas, Notre-Dame-de-Paris avec Anthony Quinn et Gina Lollobrigida.

Une autre histoire qui évoque ce cinéma ambulant : Privés de cinéma, par Gilbert (Fontienne)

Le jour du cinéma, on gardait les moutons, on prenait le casse-croûte et souvent le grand-père achetait les bonnes saucisses chez la boucherie Taliana à Forcalquier. On faisait cuire les saucisses sur la badasse, donc on prenait le thym pour les enfumer. On mangeait ça avec un morceau de tome fraîche de chèvre que ma grand-mère fabriquait. Ensuite on rentrait les moutons, on trayait les chèvres puis on prenait nos chaises et on allait au cinéma. Il se passait à plusieurs endroits : dans des salles communales dans le village et dans les derniers temps, dans le bistrot qui existe toujours aujourd’hui. Au plus tôt tu arrivais au plus tôt tu prenais la place que tu voulais.

Cette vie a été mouvementée parce que peut-être toute ma vie j’ai cherché ma maman, mais elle a été très riche sur le plan amoureux, sur le plan professionnel. C’était très compliqué parce que ma mère était sous l’influence de sa mère, et mon père était sous l’influence de ma mère. Pendant très longtemps, je considérais ma mère comme unique responsable. J’ai vu une fois un psy quand j’avais la quarantaine et j’ai raconté cette histoire, parce que ça me perturbait quand même. Ça a vraiment agi sur ma vie. Il m’a dit que mes grands-parents et mes parents avaient la même responsabilité, puisque tout le monde cautionnait la situation. Pour moi ça a été une révélation intéressante. Ces personnes ne parlaient pas et ne répondaient pas à mes questions. Mon père, je lui ai posé une fois la question, il s’est mis à pleurer. Il a pas pu répondre. Donc moi j’ai écrit l’histoire. Elle est ce qu’elle est, c’est la mienne mais j’ai reconstitué le puzzle qui me convient et qui me permet d’être en paix avec ces gens-là et avec moi-même.

André