Histoires vraies de Haute-Provence

Ahmadou, du Niger à Banon, par Françoise

31 janvier 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Une histoire recueillie à Lardiers.

C’est une histoire qui se passe à Paris il y a 7 ou 8 ans peut-être. Un jour en début d’après-midi, je suis un peu à la bourre, j’ai rendez-vous pour aller au cinéma à l’autre bout de Paris. Je pars en vitesse et je me dis que j’achèterai un sandwich avant de rentrer dans le métro. Je rentre dans une boulangerie et je vois sur l’ardoise que le sandwich au jambon s’était transformé en sandwich de dinde ! Aucune envie de manger de la dinde à la place du jambon, donc je me dis : « C’est pas grave, je mangerai plus tard » et je file dans le métro. Le quai était vide. Il y avait juste un Touareg qui était là. Vous connaissez mon amour pour le désert…

Il était là, il jouait avec son téléphone et moi j’avais Libé, j’étais en train de lire je ne sais quoi et tout d’un coup je le vois qui se tourne vers moi et je pense un instant qu’il veut lire mon journal. Le métro arrive, tout cela est très bref, on rentre dans le même wagon et je lui dis « Vous venez d’où ? ». Il me répond : « Du Niger. »  Moi je suis allée au Niger donc tout l’amour du désert est là… Il se trouve qu’il y a personne dans le métro et il allait jusqu’au bout de la ligne comme moi. On a passé tout le trajet à discuter. Il me dit tout de suite qu’il a remarqué mes bagues – ce n’était pas Libé qu’il essayait de lire ! Des bagues touareg ! Il est artisan bijoutier, alors bien sûr elles avaient attiré son attention.

Il a eu le temps de me raconter qu’il était né au Mali, que ses parents étaient morts de la rougeole quand il avait trois ans et donc qu’il avait été élevé dans sa communauté avec ses frères. Il n’était pas allé à l’école et il avait couru dans le désert avec les chèvres. À l’âge de 14-15 ans, il était au Sénégal et il y avait rencontré (je ne sais pas comment) un couple de Français, un ancien préfet qui avait une mission pour le gouvernement sénégalais. Ils se sont pris d’amitié pour ce garçon et ils lui ont appris à lire et à écrire. Évidemment, sa vie en a été totalement bouleversée et à partir de là, il a créé une association qui s’appelle « Scolarisation des enfants touaregs ». Il doit maintenant avoir 35 ans à peu près. Une quarantaine d’enfants est scolarisée grâce à l’association et ils n’apprennent pas seulement à lire et à écrire, il y en a un qui passe le bac cette année !

Arrivés à destination, on se quitte après avoir échangé nos adresses. Deux jours plus tard, il vient me voir pour me montrer ses bijoux : son trip c’est de faire des bijoux et après les vendre pour avoir des sous pour son association. On se revoit plusieurs fois, on se retrouve, on échange sur le ciel du Sahara et les sept filles de la nuit, enfin toute la poésie du désert…

Un jour, je l’ai invité à venir ici en Haute-Provence pour qu’il puisse vendre ses bijoux sur le marché de Forcalquier et sur le marché de Banon. C’était il y a deux ans je crois, l’été. Donc un soir il arrive, il faisait presque nuit et donc il commence par dire « Ah c’est joli ici ! Ah c’est joli ! » et puis : «  Ah c’est paumé ! Ah c’est paumé ! » Il répétait ça tous les trois cents mètres en passant à la Rochegiron, entre Saumane et l’Hospitalet.

On arrive devant chez moi où il y a un lampadaire qui éclaire bien la porte. Et là il dit : « C’est extraordinaire ! Je comprends pas dans un village aussi paumé comment le gouvernement français vous a donné l’électricité ! » Parce qu’évidemment, le gouvernement nigérien ne donnera jamais l’électricité à un campement touareg à 400 km de Niamey. C’était de toute beauté.

La fin d’histoire, c’est le mardi matin au marché à Banon. Il était installé pour vendre ses bijoux. Éric, de l’Hôtel-Dieu, était là. Il apprend qu’il y a un Touareg sur le marché. Il le cherche et il voit Ahmadou et là… ils se tombent dans les bras parce qu’en fait Éric, dans ses missions en Afrique, avait aidé les Touaregs qui étaient descendus au Sénégal. Ahmadou avait huit ans et c’était l’un des gamins qu’Éric avait aidés à repartir au Niger. Ils sont tombés dans les bras l’un de l’autre et ils se sont reconnus alors que c’était presque 30 ans plus tard.

J’aime beaucoup cette histoire parce qu’un petit détail change le cours des choses. : il y aurait eu un sandwich au jambon, j’aurais attendu, le métro serait passé et jamais je n’aurais rencontré Ahmadou…

Françoise