Histoires vraies de Haute-Provence

Les Mahaleo et Anna Prucnal, par Alex

24 janvier 2021

Temps de lecture : 5 minutes


Une histoire collectée le 13 mars 2018 à Longo Maï

Transcription de l’histoire audio

 Avec quelques copains de Longo Maï, on avait lancé Radio Zinzine. À l’époque, on croyait au socialisme réel mitterrandien, en tout cas on avait envie d’avoir un regard favorable à ce moment historique après 23 années de droite, et en plus parce que ça donnait la possibilité de faire une radio ! On s’est pris au jeu, on ne savait pas trop ce que ça voulait dire de faire de la radio mais c’était une occasion de faire quelque chose d’assez étonnant, qui nous étonnait nous-mêmes !

Dans cette ambiance du début du mitterrandisme, on va au congrès du Parti Socialiste à Valence en octobre 81, c’était l’état de grâce à l’époque. On parlait du soutien critique – avant de passer à de la critique du soutien. À ce congrès, il y a deux trucs qui m’ont marqué fort et qui n’ont rien à voir avec son contenu, même si ce congrès a marqué historiquement parce qu’il y avait une figure du PS qui avait dit qu’il fallait que des têtes tombent. Et là, toute la droite française est montée sur les chaises en disant : « Mon dieu ! Quelle horreur ! C’est le retour de Robespierre ! » C’était Paul Quilès, le Robespierre en question. En dehors de ça je me souviens plus de grand chose, seulement des concerts !

Les Mahaleo en 2007.

Le soir il y a un double truc qui se passe : d’une part une rencontre avec un gars qui faisait le journal Paroles et Musique, Jacques Erwan, et c’est ce qui a fait qu’on est allé ensuite au festival de Bourges. À l’époque où le festival était encore plein de vitalité, où Font et Val qui auront des destins très différents par la suite étaient encore des cabarettistes artisanaux. Philippe Val nous disait : « Nous au moins, le seul parti politique qu’on accompagne, c’est le PSU parce qu’eux au moins ils n’arriveront jamais au pouvoir ! » C’était cette ambiance-là ! Et c’est là qu’avec Mathieu, on rencontre ce groupe de malgaches, les Mahaleo. On était un peu surpris au début parce que dans une chanson que Dama (le chanteur) nous traduit, ils parlaient de ce qui se passait dans la tête d’un soldat sous son casque. Ils donnaient un visage humain aux soldats. À l’époque, on était assez jeunes et vindicatifs : « Comment on peut donner un visage humain aux soldats ?! »… C’est la première question qu’on lui pose, et il a éclaté de rire ! C’est à partir de là qu’il y a eu un début d’amorce, et ils sont ensuite venus ici. C’est tout une histoire.

Il y a une petite histoire parallèle et personnelle, c’est la première et dernière fois où je suis tombé amoureux d’une voix. Le même soir ou je fais connaissance de Jacques Erwan, je tombe amoureux d’une voix, et cette voix, c’était celle qui chantait au congrès du PS de Valence. C’était Anna Prucnal, qui avait été une chanteuse d’opéra avant de devenir une chanteuse d’interprétation des textes de Pasolini et de jouer dans Roma de Fellini. Je vais la voir après pour demander une interview, elle n’avait pas le temps mais il y avait un premier contact. Elle vient ensuite à Aix, je vais au concert et là je fais l’interview. Je suis ensuite invité avec les gens qui bouffent avec elle et tout ça. Quand elle me dit au revoir, elle me fait un baiser à la russe. Moi je ne savais pas ce que c’était les baisers à la russe donc je pensais que c’était un truc particulier pour moi. J’étais complètement transi, transporté, habité par la personne, et je lui demande de faire un concert de soutien pour Radio Zinzine et c’est le début de la fin de l’histoire…

Anna Prucnal en 1967. Crédit.

Elle accepte et elle vient avec Anne-Marie Fijal, la pianiste de Colette Magny et je vais les chercher à Avignon. J’étais un peu tendu parce que cette histoire me dépassait un peu. Alors je roule comme un fou, à l’époque je roulais vite, trop vite, et je ne m’apercevais pas que ça pouvait déplaire aux gens. Ils étaient derrière et donc déjà je leur ai filé le mal de mer. On arrive le soir tard à Longo Mai et Anne-Marie Fijal dit : « Je veux voir le piano, je veux voir le piano ! » Je lui dis : « Alors là ! T’es cartésienne ! », et en fait il faut jamais dire à une artiste qu’elle est cartésienne, c’est vraiment le dernier truc à faire. Donc deuxième bourde. Et après, tous les jours il y avait un truc qui n’allait pas dans la préparation du concert. On faisait le concert à Forcalquier, ça devait pouvoir marcher, mais c’était tendu et je comprenais pas très bien pourquoi.

Elle avait 20 ans de plus que moi : c’était n’importe quoi… D’ailleurs, c’est ce qu’elle a dit à un moment quand elle a compris qu’il y avait un problème elle a dit : « Écoute, j’ai 40 ans… ». En plus, elle était avec son mari qui se prenait pour un poète et qui faisait des textes pas terribles – en toute objectivité ! Arrive le dernier jour, le jour du concert et on avait quand même mis le paquet. Je me souviens que Jacques avait installé un haut-parleur sur la voiture pour annoncer le concert partout entre Grenoble et ici ! Le concert devait avoir lieu à Forcalquier, aux Quatre Reines.

Et voilà que Nicky, grand violoniste devant l’Éternel par ailleurs, qui participe à la mise en place de l’installation de la sono fait la toute dernière bavure : il met un fil vert au micro de la chanteuse. Et là elle pète les plombs, elle explose. En fait le vert porte malheur aux artistes, en tout cas à ceux qui sont au courant que ça porte malheur ! Elle se casse, elle se fait insulter par le copain pilier du bistrot du Commerce et moi je suis liquéfié, complètement out. Heureusement, il y avait les Mahaleo qui étaient là et qui l’ont remplacée, ça a été un beau concert, ça a été chouette !

Quelques mois après, j’ai des nouvelles par Jean Lacouture chez qui elle était allée se réfugier, c’était une amie de Jean Lacouture. Elle lui a dit que je lui avais jeté un sort et qu’elle avait chopé la fièvre de Malte. Elle était anti-religieuse mais très superstitieuse. C’était une histoire désastreuse, et depuis ce temps-là je me méfie des voix !

Alex