Histoires vraies de Haute-Provence

La passion de la pierre, par Nick

24 janvier 2021

Temps de lecture : 4 minutes


Une histoire collectée le 13 mars 2018 à Longo Maï

Transcription de l’histoire audio

 Je tape les pierres de temps en temps. J’essaye de faire des choses avec pour la construction ici [à Longo Maï].

Il y a trois personnes qui m’ont donné la passion de la pierre. Il y a Yost, une espèce de suisso-hollandais qui avait un drôle de rôle quand je suis arrivé ici à Longo Maï parce qu’il y avait 5 ou 6 personnes qui arrivaient par jour minimum, et donc c’était vraiment une invasion totale en 1978. Il y avait beaucoup d’Allemands et beaucoup d’Anglais. Il fallait faire quelque chose avec toute cette masse de gens, et lui, il avait entre 10 et 30 personnes qu’il fallait occuper désespérément. Et donc, vous voyez ce que c’est un « têtu », c’est un outil pour tailler les pierres, alors, chacun avait un têtu et on tapait les pierres, on faisait pas mal de gravier au fond et vaguement on essayait de faire des pierres et après on montait des murs, etc. Les gens restaient plus ou moins longtemps selon s’ils étaient dégoutés ou pas. Mais moi je trouvais ça génial. Yost était un peu le meneur de l’équipe.

Ensuite est venu Venicio. Venicio c’est vraiment un personnage important dans l’histoire de Longo Maï parce que c’est une des rares personnes qui était salariée, qui n’habitait pas chez nous. L’équipe de l’époque en 1976 avait décidé qu’on faisait tellement n’importe quoi avec les bâtiments, parce qu’on connaissait rien en fait, qu’il fallait bien avoir un professionnel. Lui, il avait travaillé sur des chantiers sur le plateau d’Albion, entre autres, chez les militaires, mais aussi pour une entreprise de bâtiment à Forcalquier.

Il faut quand même raconter comment on l’a rencontré. C’est quand même assez spectaculaire et cela permet de comprendre le personnage. Lui, il adorait les champignons et la montagne de Lure. Alors, à l’époque, nous on avait les moutons, un troupeau sur la montagne de Lure, du côté de Lardiers, par là. Lui monte comme ça. On avait un berger, un Autrichien, qui était un peu fou. Il ne supportait pas que des gens passent, il les engueulait, il disait qu’ils allaient emmerder les moutons, ou je sais pas quoi. Venicio arrive avec sa voiture, il sort. Parce qu’il y avait des problèmes, le berger avait une sorte de fusil de chasse, c’était rien de particulier, mais il avait un fusil, et il lui dit : « Hé, qu’est-ce que tu fais là ? » plus ou moins menaçant. « Pourquoi vous venez ici avec votre voiture, ça va pas ! » Et Venicio il sort de la voiture, il approche le type, il ouvre sa chemise en grand : « Tire, tire, allez tire ! » Et l’autre il fait « Ho ! » et après « Mais votre voiture, il faut l’enlever » Alors Venicio il jette les clés et dit « faites ce que vous voulez avec la voiture » et il continue.

La montagne de Lure, par Vincent Desplanche.

Deux ou trois jours plus tard, il rencontre Rémi et d’autres dans un bistrot à Forcalquier et il dit à Rémi : « Eh bien, vous avez un drôle de berger là-haut ! » et il raconte l’histoire. Ils trouvaient ça tellement génial, Rémi et les autres, qu’ils l’ont embauché illico pour faire du bâtiment chez nous.

Et là c’est le début, il vit toujours Venicio. Lui, c’est le maçon vraiment qui connaissait les enduits, les parpaings, les carrelages, le basique quoi. Et très bon. Mais c’était pas le maître maçon.

Quelques années plus tard, en 1979, j’étais déjà là, il y a un deuxième maçon qui arrive, Fernand, qui était un Bourguignon, un compagnon du tour de France, et qui était vraiment un maître maçon. Il supportait pas les chantiers classiques, les chantiers de bâtiments n’importe où, parce qu’il y a une hiérarchie, le petit « bougnoule » qui va faire le béton avec la brouette, il était traité comme une merde, il supportait pas ça. En fait son rêve c’était de venir chez nous, ce qu’il a fait, pour construire le hameau d’Hippolyte là haut avec la pierre et tout. C’est là où j’ai vraiment appris à travailler les pierres avec lui. C’était un vrai personnage, une sorte de poète-écrivain. Il a fait des super textes.

Bon, le seul truc que je raconte de lui qui est une super anecdote, c’est qu’il y avait toujours beaucoup de journalistes qui voulaient absolument savoir ce qu’était Longo Maï, et parfois ils avaient de drôles de questions. Ils ont chopé Fernand à un moment et ils ont dit : « Alors, Monsieur, expliquez-moi, ils font comment l’amour ici ? » Ils avaient parlé un peu avant sur les relations entre les personnes et c’est venu à ça… Et Fernand il a répondu très sérieusement, immédiatement, sans réflexion : « Ils font ça à l’ancienne, sans machine. » C’était quand même une belle réponse.

Nick