Histoires vraies du Haut-Jura

La petite amie et le brouillard, par Guy

27 décembre 2020

Temps de lecture : 4 minutes

Une histoire collectée en novembre 2020 à Cinquétral.

Transcription de l’histoire audio

Je m’appelle Guy, j’habite Cinquétral a peu près la moitié du temps, et une autre moitié à Vesoul. Je vais essayer de vous raconter une histoire qui m’avait beaucoup marqué à l’époque. Vous savez ça se passe à 17-18 ans quelque chose comme ça dans le Jura, le Jura de l’été. Le Jura de l’été est un Jura trompeur c’est-à-dire qu’on ne sait jamais ce qui va se passer. Il peut y avoir de gros orages, il peut y avoir des difficultés tous ordres. Un jour, mon cousin Daniel que j’aime beaucoup – c’est mon seul cousin c’est pour ça que je l’aime beaucoup, vient me dire : « Écoute, ce serait bien si on pouvait faire une petite balade ensemble parce que j’ai une nouvelle copine. J’aimerais bien lui montrer des belles choses du Jura et puis j’ai pensé à toi. Je me suis dit, il va nous raconter des histoires de fleurs, de rochers, de machins, c’est bien ! ». Donc je lui dis : « Bon ben ma foi, pourquoi pas ! »

J’étais déjà avec ma compagne de toujours, ma belle Françoise. Donc on décide Françoise, moi-même, notre Daniel et sa copine dont je ne me rappelle plus le prénom, de faire ce qui est emblématique pour les gens du Jura : les Monts Jura. Qui n’a pas fait les Monts Jura ? Qui n’a pas un jour essayé d’attaquer un petit peu le Reculet ou un autre ? Donc on part, je prends ma voiture, on se gare dans un petit lieu qui s’appelle la Maréchaude et puis on attaque. On attaque quoi ? On attaque en quelque sorte ce qu’on voulait montrer à cette jeune fille, qui était par ailleurs très sympathique. On voulait lui montrer que mon cousin était parfaitement bien et que comme moi il connaissait les intérêts du Jura, la force du Jura. Alors on parlait des fleurs, des roches, d’éventuels mouflons, enfin de n’importe quoi pendant qu’on avançait. À un moment, tu arrives au Crêt de la Neige, c’est quand même le point culminant.

Petit à petit, avec toute cette balade là, on continue puis on arrive à un moment où on se dit que le temps change. Le temps changeait, c’est-à-dire que comme je vous l’ai dit tout à l’heure le Jura est trompeur. Des nuages apparaissent, un peu de brume et puis petit à petit je regardais mon cousin Daniel qui n’avait aucune peur de rien du tout. Il était avec sa copine. Je voyais que progressivement le temps baissait comme on dit ici, c’est-à-dire qu’on avait de plus en plus de nuages, qu’il y avait de la brume et qu’on voyait de moins en moins les chemins. Et je dis à Daniel : « On voit de moins en moins les chemins ». Et il me répond : « Et alors ? ». Arrive un moment où on s’est dit : « On voit vraiment plus guère les chemins ». Mais Daniel me disait : « Ah, c’est vrai, c’est une bonne observation. » Puis sa copine commençait à avoir un peu peur et se demandait dans quelle grande sauvagerie elle s’était embarquée.

Et donc à un moment donné on ne voyait plus rien, pour tout dire. Je demande à Daniel : « Que fait-on ? », puisqu’on ne voit plus rien. Il me dit : « Ça alors ! Ça t’es déjà arrivé ? ». Je réponds que non. Les Monts Jura sont sous une nappe que personne ne pouvait imaginer. Il me dit : « Le premier chemin sur la gauche, on descend. » Et moi, pourtant de gauche, je me suis dit : « Cette histoire de gauche, de premier chemin à gauche… M’enfin bon… Allons-y puisque c’était quand même lui qui est à l’origine de cette sortie ». Alors on prend un chemin, et ce chemin descendait. Donc c’est bien puisqu’il descendait des Monts Jura, on se disait qu’on arriverait dans une zone plus clémente. Alors on descendait, on descendait. On voyait de temps à autre des petits signes dans la nature qui nous indiquaient des choses qu’on ne connaissait pas.

On s’est dit qu’on continuait vaillamment et puis lui continuait à exposer à sa petite copine tous les intérêts de ce massif montagneux de qualité. On est arrivés progressivement en bas et on a commencé à voir des pancartes qui ne nous concernaient pas du tout. Par exemple on voit une pancarte : CROZET. Je lui demande : « Tu connais Crozet ? ». Il me répond que non, puis la copine évidemment ne connaissait pas, elle était de Lille. Françoise non plus ne connaissait pas. Alors là, on a commencé à s’inquiéter.

On s’est dit : « Mais qu’est ce qui s’est passé dans notre esprit ? » Eh bien tout simplement, on s’est trompé de versant. C’est-à-dire que quand on est redescendus des Monts Jura, on n’est pas redescendus du côté du Jura mais on est redescendus du côté de l’Ain, du lac. Alors ça, c’était quand même une erreur considérable, impardonnable. On a bien essayé d’expliquer à cette jeune fille que ça nous arrivait rarement des erreurs pareilles et puis Daniel et moi on était un peu confus. Puis surtout, il fallait remonter parce que la voiture elle était de l’autre côté du versant. Alors là, on a pris la modernité : on a pris le téléphone puis on a téléphoné à Cinquétral. On a parlé à nos parents, à nos amis, aux amis de nos parents qui étaient en conclave parce qu’ils ont bien vu qu’on avait disparus. Ils s’étaient tous réunis ici en se disant : Est ce qu’on fait les feuilles ? Est-ce qu’on prépare la mort ? Ils ont été contents d’avoir un petit coup de téléphone disant : « Voilà on est à Crozet, si quelqu’un peut venir nous chercher en voiture ce serait bien parce que notre voiture est à la Maréchaude, donc c’est pas le même côté. » Là, comme ils sont du Jura, ils ont compris.

Donc ils sont venus nous chercher ? Non, ils ne sont pas venus nous chercher. Donc on a pris un taxi, la honte, la honte totale. J’ai jamais eu autant honte. Être dans mon Jura natal, avec mon cousin d’expérience, et me retrouver ainsi avec un taxi qui me dit : « Mais vous allez où ? »
– « Ben on retourne de l’autre côté du versant ! »
– « Ah bon ? Mais pourquoi vous êtes là ? »
– « Oh ! Ben, on vous expliquera un jour ! »

Donc on a retrouvé la voiture et on est rentrés très tardivement ici. On a été accueillis, non pas avec les bravos, non pas avec les hourras, mais avec un certain soulagement de nos parents, amis de nos parents, grands parents etc. Mais surtout avec l’idée que le Jura allait à vau-l’eau avec des gens comme nous qui n’étaient pas capable de reconnaître leurs sentiers.

Guy