Histoires vraies de Haute-Provence

La poule de Noël, par Jacqueline

14 novembre 2020

Temps de lecture : 3 minutes


Une histoire collectée le 23 mars 2018 à Lurs

 

Transcription de l’histoire audio

Une restanque en Provence

À l’époque, on était pauvres comme Job. Aujourd’hui, on aurait droit aux Restos du Cœur. Mais à mon époque, il y avait la fierté… alors, bon, on disait rien. Toutes les saisons, on profitait de ce que la nature nous donnait, parce qu’on n’avait pas de terrain à nous vraiment.  Alors on allait cueillir les mûres, on allait cueillir les noisettes, tout ce qu’on trouvait… Mon père avait un tout petit lopin de terre avec de la vigne, on séchait les raisins sur des claies, dans la seule pièce où on vivait et c’était bon comme tout…

Et voilà qu’arrive Noël, et je vois ma mère affairée, toute triste et elle me dit : « Jacqueline, on va brosser les chaises, on va tout nettoyer et puis par contre… j’ai très peu de farine, il faudra casser les noyaux et il n’y a rien à manger ce soir ». C’était en 1943 – 1944… Alors je dis : « Mais c’est pas grave, maman, on fera les petits gâteaux comme d’habitude et puis voilà. » On avait un four, une cuisinière, tout ce qui fallait pour vivre et elle me dit : « Tu es gentille ma chérie, avant la nuit, tu vas cueillir l’herbe pour les lapins. Tu prends un sac, tu en ramasses le plus que tu peux. »

Et je pars par les petits sentiers, et je passe par les petites restanques de la vigne où mon père cueillait ses raisins, y’avait deux pommiers, on avait aussi gardé des pommes, qu’on avait récupérées, et je vais dans une petite restanque où je savais qu’au pied du mur je trouverai des petits pissenlits, des herbes qui étaient encore vertes et que, les hivers doux, l’on pouvait cueillir car elles se gardaient bien. J’arrive-là, j’entends « cot, cot, cot… » Je regarde, j’avance, il y avait des lianes sauvages, des ronces surtout, et de l’herbe effectivement puisque ça avait été labouré l’année précédente. Je cueille mon herbe et j’entends « cot, cot… » J’avance…  une poule noire, toute blessée…

Ça fait tilt dans ma tête, je pense. J’avais déjà de l’herbe au fond du sac en jute, je prends la poule, je regarde, elle était blessée, elle saignait. Je la mets vite là-dessus et je continue à ramasser de l’herbe. Je couvre la poule et au bout d’un moment, j’y tiens plus, je descends, je descends… et juste un peu avant que j’arrive à la maison qui se situait en-dessous de ces restanques, j’entends la voisine qui criait : « Madre mia, madre mia, mes poules, mes poules, c’tou chien, c’tou chien ! » Et mon père il arrive et il dit : « Oh là là, elle est pas contente la dame du haut, parce qu’il y a un chien, apparemment, qui a fait échapper ses poules. »

Moi j’arrive, là, derrière la cage des lapins, et je dis : « Papa, viens voir. » Il me dit « Qu’est-ce que tu as ? » Je réponds : « Viens, on rentre à la maison ». J’ouvre le sac et ma mère, elle voit la poule. Elle dit « Mon Dieu, Jacqueline, tu es un ange ! » On n’avait rien à manger pour Noël, mais c’est pas ça, c’est qu’il fallait la plumer, la poule ! Et la voisine, elle allait sentir l’odeur des plumes, quand on aller les brûler dans la cuisinière… Je vous dis pas le binz qu’on a fait… Ça a été un merveilleux Noël !

Jacqueline