La fausse espionne, par Athman

5 mai 2013

Temps de lecture : 3 minutes

Béjaïa en 2003. Crédit : Abdel Dahmana.

L’histoire de ma tante débute en 1992. Elle était alors étudiante à l’université de Sétif. Le chef de département vient la voir et lui apporte une lettre de convocation de la police. Il était mentionné qu’elle devait venir munie de son passeport. Malheureusement pour elle, il était à Bejaïa.

Le lendemain, elle se rend au commissariat où elle est accueillie par un inspecteur. Il la fait entrer dans une pièce où il n’y a qu’un bureau et une machine à écrire. Installé derrière la machine, il commence par la questionner sur son identité. Puis il lui demande si elle fait de la politique. Elle lui répond que non, qu’elle n’adhère même pas à une association culturelle. Il veut savoir si elle est déjà allée à l’étranger. Elle répond qu’elle s’est déjà rendue en France. « Pour combien de temps et pour quel motif ? » demande-t-il ensuite, avant de la questionner sur la profession des membres de sa famille, les écoles qu’elle a fréquentées… Après lui avoir demandé si elle a quelque chose à ajouter, il enlève les feuilles de la machine à écrire et les signe. Ma tante veut savoir ce qu’on lui reproche. L’inspecteur lui apprend qu’ils ont reçu une lettre de dénonciation à son encontre. Elle cherche à la voir mais il refuse, prétextant que celle-ci est anonyme et qu’ils vont enquêter. Elle réclame alors le procès-verbal de d’interrogatoire.

Son nom et son prénom figurent bien sur l’entête, puis elle découvre, effarée, le motif de sa convocation. Il est inscrit noir sur blanc une phrase qui va la marquer à tout jamais : « LETTRE DE DÉNONCIATION CONTRE, suivi de son nom et prénom, UNE ESPIONNE JUIVE ». Elle signe à son tour les feuilles, toute tremblotante, puis l’inspecteur lui demande si elle a des ennemis – ce à quoi elle répond par la négative – et si elle a des amis à l’étranger. Elle lui dit qu’elle a quelques connaissances. L’inspecteur l’autorise à quitter les lieux.

De retour dans sa chambre, ma tante raconte sa terrible histoire à sa colocataire qui l’écoute sans montrer de réaction particulière. Plus tard, dans la soirée, elle revient dans la chambre de ma tante et lui avoue pourtant qu’elle est à l’origine de la dénonciation, qu’elle ne sait pas si elle lui pardonnera un jour ce qu’elle a fait. Elle affirme que ce n’est pas de sa faute et qu’une fille lui a fait croire que ma tante était espionne. Ensemble, elles ont fouillé dans son sac et y ont trouvé des photos de ma tante avec des étrangers ainsi qu’une bombe lacrymogène. Elles l’ont accusée d’être juive car elle avait prétendument défendu leur cause lors d’une discussion.

Hors d’elle, ma tante se dirige vers la chambre de cette fille et lui dit qu’elle va tout révéler à la police et que ç’en sera fini pour elle de l’université. L’accusatrice lui répond qu’elle appellera son oncle qui est émir et qui lui réglera son compte. Le lendemain, ma tante retourne au commissariat pour donner son passeport et reprend sa vie quotidienne. Deux jours plus tard, elle reçoit une nouvelle convocation. Elle est reçue au dernier étage du commissariat et redoute alors que son affaire ait pris de l’ampleur. Trois personnes l’accueillent dans un bureau. L’une d’elles lui annonce qu’ils n’ont aucun doute sur son identité et que l’affaire est classée. Puis on lui demande si elle a des soupçons sur l’auteur présumé de la lettre. Elle raconte ce que la fille lui a révélé et on lui dit alors de faire attention à elle car elle est épiée par les terroristes.

Par la suite, elle a appris que le GIA* avait fait son apparition en Algérie à cette époque et qu’elle avait frôlé la mort. C’est lors de cet épisode qu’elle a découvert que le mot « émir » voulait dire « terroriste ».

Athman Khalil Moualek

*GIA : Groupe islamique armé