Dormir avec un yéti, par Yochai

3 avril 2013

Temps de lecture : 3 minutes

Transcription en français de l’histoire audio en anglais

 Alors, en fait mon histoire se passe au Ladakh. Je faisais un trek pour relier Manili à Leh, ce qui représente un assez long trek, j’ai marché pendant environ un mois. En chemin, je venais de franchir un des cols, un très grand col sur cette route-là, je venais de passer de l’autre côté. J’avais dû marcher dans beaucoup de neige et de glace. Ensuite j’ai commencé à redescendre, c’était un des plus beaux endroits dans lesquels j’aie jamais campé.

J’ai sorti ma tente, il y avait une immense falaise au-dessus de moi et un ruisseau d’eau vive qui venait de la fonte du glacier là-haut. J’étais en train d’essayer d’allumer un feu à partir de… Il n’y a pas de bois ni rien, parce que c’est trop haut, c’est autour de 5 000 mètres d’altitude. Alors j’essayais d’allumer un feu avec de la bouse de yack. C’est l’idée que j’avais eue. C’est ce que font les Bédouins dans le désert, et tous les gens qui vivent par là-bas, j’avais vu les gens ramasser des bouses de yack. Mais en fait il s’avère que c’est très difficile de faire un feu avec de la bouse de yack, ça ne prenait pas du tout ! Et tout à coup j’ai entendu quelqu’un arriver derrière moi et me crier des instructions. Je me suis retourné, et c’était un type qui sentait très très mauvais. Un Népalais.

Une vallée du Ladakh, au Népal.

J’ai compris parce que j’avais été au Népal avant, donc je savais qu’il parlait népalais, je connaissais quelques mots. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui puait autant. Pour que vous compreniez bien, la température était en-dessous du zéro, et moi j’étais bien habillé, j’avais de très bons vêtements, des chaussures de randonnée, tout ça. Et j’avais une tente. C’est vrai que je n’arrivais pas à faire de feu, mais j’avais un réchaud et un très bon sac de couchage, alors que ce type n’avait rien ! Il portait simplement une chemise normale, il avait des chaussures en toile, sans chaussettes, et juste un sweat-shirt. Même pas une polaire, rien, juste un sweat à capuche. C’était tout ce qu’il avait, ni sac, ni rien d’autre. Et on était à plusieurs jours de marche du premier village, dans n’importe quelle direction. Il n’avait pas non plus de troupeau avec lui, il n’habitait pas dans le coin. C’était juste un ouvrier népalais qui devait travailler dans le bâtiment quelque part dans une ville à plusieurs villages de là, et qui essayait de franchir le col que je venais de passer pour rejoindre la route, et de là Manali, d’où j’arrivais.

Du coup, en gros, il est resté avec moi parce qu’il n’avait rien à manger, il débarquait comme ça. Il m’a d’ailleurs beaucoup aidé, on a réussi à allumer le feu. Et vous savez, on était un peu… On ne pouvait pas vraiment parler parce qu’on ne savait rien dire à part « salut mon frère, salut mon frère », c’est tout. Je n’avais pas grand-chose à manger mais j’ai partagé ce que j’avais avec lui. Et ensuite il a commencé à faire vraiment froid et nuit, alors je lui ai dit « Ok, tu peux venir dans ma tente pour qu’on se réchauffe. » Et puis il m’a demandé s’il pouvait rester dormir là, parce qu’il n’avait nulle part où dormir. Donc je me suis couché et je lui ai donné… J’avais une sorte de drap intérieur pour mon sac de couchage, alors je lui ai donné ça et moi j’ai dormi dans mon sac de couchage. Et… Ce n’est pas un moment dont je suis très fier, au contraire, ça me travaille encore. Mon sac de couchage est dément, je l’ai toujours : vous pouvez dormir par moins vingt degrés et vous serez au chaud, bien douillet. Donc moi j’étais bien emmitouflé, je n’avais pas froid, et lui il grelottait à côté de moi, toute la nuit. Je n’ai pas fermé l’œil, mais je ne savais pas quoi faire non plus. Je n’ai pas ouvert mon sac de couchage pour lui en proposer la moitié, vous voyez. Je ne l’ai pas fait. Je le regrette, mais c’est la vérité. Aussi parce qu’il puait tellement. Et puis c’était bizarre, en fait. Ma tente est minuscule, c’est une tente d’une place et demie, donc on était vraiment à l’étroit, collés l’un à l’autre. Ensuite, à la minute où il a fait jour, il s’est levé, il m’a dit au revoir et il est parti. En direction du col. De ce col enneigé. Et voilà.

Yochai Maital