La meilleure solution, pour Mokie, c’était de lui raconter des histoires…

1 juin 2012

Temps de lecture : 4 minutes

Mokie est la mère d’une amie à moi. C’est une femme assez âgée, qui est atteinte de la maladie de Alzheimer : elle perd progressivement la mémoire, ce qui l’emmène a confondre la réalité et l’imaginaire. Elle vit seule, près de Paris, dans sa chambre d’hôpital.
Elle a depuis toujours un “compagnon”, comme elle l’appelle, qui est en fait un chien. Ce dernier est étrangement devenu l‘unique chose au monde lui permettant de garder un pied avec la réalité. En effet, malgré sa maladie elle l’a toujours beaucoup aimé: c’est aujourd’hui peut être une des seules choses qu’elle reconnaît tous les jours, tous les matins lorsqu’elle se réveille. Incapable de différencier sa sœur, sa petite fille ou l’infirmière, elle porte toujours autant d’attention a ce petit animal qu’il y a sept ans.
Un jour, Mokie était invitée à séjourner quelques temps chez sa fille, qui habite à Barcelone. L’hôpital, refusant d’être a la charge de son chien, le fit donc garder par une société qui gardait des animaux.
L’accident mit une semaine a se révéler. La garderie appela immédiatement la fille de Mokie, lui annonçant que le chien n’était pas mort, mais qu’il avait été perdu : il s’était échappé lors d’une promenade. Après plusieurs recherches réalisées tout autour de la ville, il n’y eut aucune retrouvailles du chien.
Cet évènement se révélait alors comme un fait aggravant pour la maladie de cette dame. On ne pouvait en aucun cas la faire retourner à Paris sans qu’elle ne puisse, las bas, y retrouver son chien, sachant qu’elle ne cessait de parler de lui jour après jour : c’était quand même l’élément essentiel qui lui faisait garder contact avec la réalité.
Ce fut le début d’une longue série de recherches, réalisées par la fille de Mokie mais aussi par ses deux frères et sa sœur, par la garderie, par des amis proches… Des affiches étaient collées sur de nombreux murs parisiens, et les avis de recherches sur des sites internet étaient eux aussi nombreux. Mais en vain, il n’y eut pas de réponses…
Un jour pourtant, un des enfants de Mokie reçut un message, ou un homme disait avoir retrouvé l’animal, indiquant la taille, le poids, ainsi qu’une photo du chien… tous les éléments correspondaient. Les proches de Mokie était alors soulagé et bien heureux. On contacta alors cet homme par courrier électronique en essayant donc de s’arranger pour récupérer l’animal. Mais c’est alors qu’ils se sont rendus compte que cet homme ne leur écrivait pas depuis une région de France, mais depuis le Maroc. Cela les surprit tous car c’était quand mémé étonnant qu’un chien se retrouve si loin : cela signifierait qu’il aurait traversé la France et l’Espagne, puis la Mer Méditerranée à la nage… Ou sinon qu’il serait passé par la Turquie ou aurait fait en tout cas toute la cote méditerranéenne pour arriver jusqu’au Maroc… Ces deux solutions restaient très improbables, et même impossibles. Ils ont alors supposé que le chien avait été volé, et avait du passer par les mains de plusieurs voyageurs pour finir au Maroc, chez cet homme qui n’y était pour rien. Un des frères a alors réservé un billet d’avion pour s’y rendre et récupérer l’animal.
Mais la veille du vol, environ cinq jours plus tard, ils se rendirent compte que ce chien avait une petite différence au chien de Mokie : ce détail s’ajoutant au fait qu’il était si loin, leur fit conclure que ce n’était pas le bon animal. Cela faisait donc trois semaines de recherches pour revenir à la case départ.
Suite à ce faux espoir de la piste marocaine, ils se reposèrent la question de si il fallait ou non annoncer à cette pauvre dame que son chien avait disparu, ou pire qu’il était mort.
Après de longues réflexions, ils se sont dit que lui annoncer cela serait juste terrible pour elle, et de plus, que vu que c’est une femme malade qui ne doit avoir qu’une image floue de son chien, en en parlant avec les médecins, la meilleure solution serait peut être de lui raconter des histoires : on va alors essayer de lui trouver un nouveau chien. Cette solution, leur semblant correcte à tous, les amena à poursuivre de nouvelles recherches, dans des animaleries, SPA…pour trouver le chien le plus semblable à l’initial.
Au bout de quelques jours, on en trouva un, mais qui ne ressemblait pas vraiment au chien qu’ils espéraient trouver. Il était bien plus vieux, au moins de six-sept ans de plus, mais il avait à peu près la même couleur : ils se sont dit que cela devrait faire l’affaire… Ils l’achetèrent donc, ne voyant de toutes façons, aucune meilleure solution.
On le déposa le lendemain dans la chambre de Mokie. Cette dernière, qui était pendant toute cette période restée chez sa fille à Barcelone, n’ayant de toutes manières qu’une vague notion du temps, pu enfin rentrer chez elle, après environ un mois et demi, deux mois de «vacances» en Espagne.
On lui annonça des son retour que l’on venait de ramener le chien de chez la gardienne. Après un instant Mokie le reconnu et était alors très heureuse, ne cessait de le caresser et de lui murmurer à l’oreille « Si tu savais comme tu m’as manqué! » ou « Comme je suis contente de te retrouver! ».
Tout le monde se regardait avec un air de satisfaction et de soulagement: elle avait mordu à l’hameçon, ne s’était apparemment pas rendue compte que l’on avait remplacé son chien par un autre.
Depuis ce jour, elle continue à y croire jour après jour, à être et jouer avec lui, très heureuse.
Mais il y a tout de même une légère différence avec le passé: régulièrement lorsque ses proches l’appelle, elle mentionne que le comportement de son chien l’étonne de plus en plus… En effet, il ne répond plus à « son nom », il n’aime apparemment plus le chocolat, qu’il adorait avant, est beaucoup moins joueur qu’avant…
Mais petit à petit elle s’y adapte, vivant avec lui comme si de rien était.
Et on ne lui a jamais rien dit…

Elisa Petit – Texte / Text
Histoire en français / Story written in French