Le film Battleship, de la propagande américaine dans les cinémas égyptiens

25 avril 2012

Temps de lecture : 5 minutes

Jeudi soir, je me suis rendu au cinéma Métro, ex-cinéma de la Goldwin Mayer, qui a dû être un de ceux-là à montrer les premiers films en technicolor, avec son plafond monumental, la décoration lourde, un art-déco pompier, balcons et vertigineuses colonnes de plâtre.

Le lieu est majestueux, et pourrait être magnifique, mais tout comme le fameux café Groppi, place Talaat Harb, aux murs somptueux en marbre et fers forgés, laissé à l’abandon, les fauteuils de la salle ont été remplacés par quelque chose de moche et de pas cher, et l’allure est gâchée par la camelote récente, le manque de soin…

Le seul film qui n’est pas en égyptien non sous-titré a pour titre Battleship, et va durant plus de deux heures nous démontrer à quel point la Navy américaine est une des plus belles merveilles du monde : sexy, technique, c’est-à-dire efficace avec un grand coeur. Donc un pur film de propagande, une publicité pour s’engager dans la marine, un hymne à la force américaine en terre d’Islam.

http://www.youtube.com/watch?v=KsieadPPvJE (cliquer pour voir la bande-annonce)

Le scénario du film est inspiré du jeu de combat et de stratégie du groupe Hasbro : un message, par ondes superpuissantes de la Nasa, a été envoyé à une planète identifiée comme ayant les caractéristiques parfaites pour avoir développé de la vie : pas trop loin mais trop près non plus de son soleil (le film nous fait un petit cours de science au début pour qu’on comprenne bien), avec une atmosphère, etc… « Il y a de la vie sur terre. Les baleines, John Lee Hooker… Et vous, comment ça se passe ? », et là incroyable : les aliens reçoivent bien le message, mais ils ne sont pas aussi cools qu’on avait présagé. Direct ils passent à l’attaque et envoient cinq vaisseaux volant, amphibie et qui flottent de surcroît bousiller notre planète, ou plutôt celle des américains.

La scène classique d’apocalypse est sans surprise. Universal se fait tout de même le petit plaisir de défoncer le quartier d’affaire de Tokyo, qu’on ait une idée de ce qu’aurait pu être 9/11 au Japon, parce que Fukushima, on en causait au Pentagone, avait malheureusement épargné les gratte-ciels.

Tout le suspense du film est de savoir comment le héros Hopper et les destroyers de la Navy (sans faire appel à l’OTAN bien sûr, à quoi bon ?) vont bien pouvoir pulvériser l’armée alien et sauver le monde, ce qui permettra en même temps à Hopper de prouver qu’il pourrait être un bon mari pour la fille de l’amiral, qui ne voit en lui qu’une tête brûlée « très prometteuse » mais « sans capacité décisionnaire »… c’est-à-dire le bidasse idéal, mais pas forcément le chef parfait.

La première scène du film est la rencontre entre Hopper cheveux longs, surfer, qui fête avec son frère son birthday dans un bar à la base d’Hawaï, et une blonde à gros seins qui a envie de manger un chicken burrito. Malheureusement pour elle, la cuisine vient de fermer. Hopper l’aborde et lui jure que dans cinq minutes elle aura ce qu’elle désire. Cette salope est à moi, disent ses yeux, mon désir n’est qu’à un chicken burrito de portée. S’ensuit qu’Hopper, n’écoutant que son instinct viril, s’en va cambrioler le petit casino du coin, qui lui aussi vient de fermer, pour rapporter, après une course poursuite avec les flics et deux décharges de taser dans le dos, le chicken burrito qu’il a eu la présence d’esprit de réchauffer au micro-ondes. La blonde, qui comprend quel mal il s’est donné pour elle, est émue. Cette scène de présentation montre à la fois son grand courage, sa détermination, et sa capacité à aller jusqu’au bout de décisions débiles, mais se taper une blonde de temps en temps, hein les mecs, qu’est-ce qu’on ferait pas pour ça ?…

Le problème c’est qu’ensuite il y a l’histoire d’amour, et que pour ce qui est de convaincre son amiral de père, il va falloir qu’Hopper le loser-surfer se réforme plus que dans les grandes lignes, tout en conservant son potentiel d’imbécile-né pour se battre (c’est-à-dire, dans la langue de l’armée, son « son potentiel sous-exploité »). D’ailleurs il faudra que son frère, lieutenant modèle, meure déchiqueté par les aliens pour qu’Hopper commence à prendre un peu de plomb dans la tête, sachant que bien sûr il restait pas mal de place.

D’abord les petites barques en plastique de la Navy se font littéralement pulvériser par un ennemi dont la technologie est à des années-lumière de celle de l’US Army. Ils sont totalement imbattables, mais au fond non, car ils ont un point faible, hormis le fait qu’ils soient complètement cons à chaque fois de laisser fuir des cibles faciles (très énervant) : ils craignent la lumière du jour…

Grâce à un dérapage contrôlé de son destroyer, Hopper obtient sa première victoire. Le final est un hymne aux anciens combattants, qui vont redonner vie à un vieux raffiot qui servait de musée à l’armée, réquisitionné pour la bonne cause : par les efforts conjugués de jeunes crétins et de vieux nostalgiques, we’re gonna kick their ass from here to pennsylvania, les aliens n’y reviendront pas de sitôt.

Tout cela pour dire qu’hier soir, pour mon premier jour à Alexandrie, j’avais déjà oublié Battleship et je me mets le DVD de Alexandrie Pourquoi ? de Youssef Chahine, qui commence par une scène au cinéma en 1942. Un soldat australien saoul fait un esclandre à l’entrée. On ne leur a rien demandé, dit un égyptien (je cite de mémoire). Tu vas voir, dit son ami, Hitler va arriver et va leur mettre une bonne raclée aux anglais.

Le film que Yehia et ses amis regardent ce soir-là est une comédie musicale de propagande pour l’armée américaine. Ils sont vraiment impressionnants les américains ! dit le même homme. Est-ce que tu crois qu’ils pourraient nous débarrasser des anglais ? Si c’est leur intérêt, oui ! répond l’autre.

Plus loin dans ce très beau film autobiographique, le vieux juif qui va devoir s’exiler en prévision de l’arrivée des troupes de Rommel à Alexandrie, dit à sa fille, enceinte d’un brave camarade musulman : les américains viennent de découvrir que l’Arabie Saoudite est couverte de pétrole, et ils ont besoin d’une force pour s’assurer l’approvisionnement (toujours de mémoire). Ils ont besoin de l’armée égyptienne. Et il prophétise cent ans de guerre, mais à la fin du film il finit par retourner sa veste et rejoindre Israël et le rêve sioniste.

Il y a deux jours, le gazoduc qui reliait l’Egypte et Israël a été coupé par décision du gouvernement. Il fournissait 40% des ressources en gaz de l’Egypte à Israël, alors même que les égyptiens devaient payer un gaz qui leur appartient à des prix exorbitants. Le gazoduc constituait une forme d’allégeance humiliante à Israël aux yeux des égyptiens, avec les accords de Camp David et les milliards américains.