L’histoire vraie d’Eric Brun-Sanglard, esthète post-moderne

3 mars 2012

Temps de lecture : 3 minutes

Peut-être parce que je rentre de deux mois au Maroc puis en Algérie, mais il y a des choses en France qui me semblent difficiles à entendre. Par exemple, dans le Mag 2 Lyon de mars, cette interview du designer-star Eric Brun-Sanglard :

Mag 2 Lyon : La déco, c’est tendance ?

Eric Brun-Sanglard  : Oui. Aujourd’hui, les gens ont besoin de se sentir bien chez eux, notamment à cause de la crise économique qu’on traverse et des soucis que ça entraîne. Résultat, on a besoin de recréer un intérieur où on se sent à l’aise, avec des plaids, des matières tricotées…

Eric Brun-Sanglard, un aveugle qui sait dire ce qui est beau autour de lui

Ce genre de vision négationniste de l’Histoire (le même jour dans Le Monde, le dossier Crise du logement, comment s’en sortir, fait état de 3,7 millions de mal-logés, de 685000 sans domicile personnel, etc.) par des esthètes qui n’ont aucun complexe à justifier la nécessité de leur activité de luxe par la crise économique n’est malheureusement pas sanctionnée par des peines de prison qui permettraient d’améliorer les intérieurs de cellule façon feng-shui, dans le dépouillement nécessaire à la méditation des saloperies dites puis publiées en magazine.

Mais, à sa décharge, le pauvre Eric est un handicapé. Eric Brun-Sanglard a cette particularité, parmi tous ces génies de la composition du confort privé des riches, qu’il est totalement aveugle, et pas au sens figuré :

A trente ans j’ai attrapé un virus à l’œil et en un an et demi, je suis devenu aveugle. Mais j’ai malgré tout décidé de me lancer dans la rénovation de la maison. Et je me suis découvert un véritable talent (…) j’ai besoin de toucher les matériaux, de sentir l’espace (…) (je vous saute quelques âneries de base du genre les énergies de la pièce, etc.) Il y a environ dix ans, le Los Angeles Times m’a consacré un super portrait. Du coup, j’ai gagné en notoriété et j’ai refait les maisons de stars et de millionnaires : Madonna, Cher, Brad Pitt, Jenifer Aniston… En 2005, j’ai même eu un reality show à mon nom qui est passé une saison à la télé…

Incroyable, non ? Moi je l’embaucherais à New York comme galeriste d’art contemporain, si j’en avais les moyens. Ne dit-on pas qu’au royaume des esthètes, les aveugles sont rois (esthète, du Grec très ancien : ès, sans, et thêtos, cerveau) ?

Eric Brun-Sanglard est d’ailleurs un vrai prosélyte de sa vision new age de l’intérieur. Il donne des cours de déco aux voyants qui rêvent d’être aveugles comme lui pour être meilleurs dans l’appréhension des pièces : c’est sûr que (leurs) sens ne seront jamais autant développés que les miens. Mais je peux (leur) apprendre des techniques toutes simples. Comme mesurer une pièce en fonction de la longueur de (leurs) bras.

Merci Eric, tu es le Cantona de la déco, tu nous fais rêver, quand on aura un belle villa, on t’appelle. Et bientôt si Sarkozy est réélu, j’espère qu’il va créer un ministère pour toi : ministère du Logement qui assure sa race. Car il faut répéter à l’unisson que le droit au logement est aussi un devoir, pour tous les citoyens-esthètes qui activent la beauté autour d’eux, à l’écart du laid, derrière de magnifiques palissades (taguées style Mur de Berlin).