Mon histoire vraie de février : le soir de la victoire en Coupe du Monde

21 février 2012

Temps de lecture : 4 minutes

Chaque mois, je déposerai sur le site/bibliothèque une histoire vraie (promis) tirée du récit de ma vie palpitante. En janvier, j’ai raconté comment je me suis cassé le nez exprès à l’âge de six ans :
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Ce mois de février, je vais vous confier comment j’ai failli faire onze enfants à une jeune noble le soir de la victoire de la France en coupe du Monde…

*

Lyon, 12 Juillet 1998. Après deux superbes têtes sur corner de Zidane, qui traversa le ballon comme si un Italien avait insulté sa mère, Emmanuel Petit, beau bûcheron aux cheveux d’or, au bout d’une course contre la fatigue, trouve les ressources de redresser une frappe qui scelle la victoire, 3-0, de l’équipe d’Aimé Jacquet face au Brésil en finale de Coupe du monde.

Sans plus attendre, amis, camarades, frères, chacun nous dévalons joyeusement les pentes de la Croix-Rousse en trompettant l’hymne gay I will survive de Gloria Gaynor (Cliquez ici pour écouter Gloria) et arrivons de fait très vite place des Terreaux.

La fontaine Bartoldi est pleine de monde, ses chevaux crachent une buée de vestiaire par les naseaux et nous sautons fièrement dans la piscine avec Aphrodite et les autres. Il fait chaud, les filles sont humides, on s’embrasse, on se passe les bières en canettes qui moussent comme de la Veuve Clicquot.

Quand je ressors de ce bouillon, les amis se sont dispersés. Je pars vaguement à leur recherche, trempé, heureux, et à un détour de rue croise le regard bleu maillot, bleu France d’une jeune femme aux traits fins, harmonieux. Je lui explique que notre rencontre n’est certainement pas l’oeuvre du hasard. A-t-elle le temps d’échanger un peu sur l’immense prestation des tricolores ?

Elle me dit qu’elle doit rejoindre des amis vers Victor Hugo (pas l’auteur, la rue), qu’ils font une soirée crêpes. Je propose galamment de l’accompagner, les rues sont pleines de hooligans, je ne peux vous laisser seule, je vais veiller sur votre protection.

Nous devisons gaiement, au hasard d’une phrase elle me confie qu’elle possède deux bouteilles de rosé dans son sac, avec en plus des gobelets. Je propose de s’asseoir un moment pour reprendre des forces, le chemin est encore long, pas loin d’un bon quart-d’heure à pied, et avec toutes ces émotions.

Sur les marches d’une entrée d’immeuble, la bouteille descend et nous refaisons le match.

Tu sais, lui dis-je, dans vingt ans si ça se trouve il n’y aura plus de bons joueurs en France, pas de quoi constituer une équipe valable.

Possible, répond-t-elle. Et nous réfléchissons ensemble à cette terrible éventualité. Le rosé, contrairement au jus de pomme, est un breuvage qui aide à réfléchir.

Tu sais ce qu’on devrait faire ? Reprends-je, inspiré d’avoir tant pensé.
On devrait faire des enfants pour la France. On aurait que des garçons, et on ne leur apprendrait ni à lire ni rien. Pour survivre ils n’auraient pas le choix, ils deviendraient footballeurs, on les appellerait Zidane, Thuram, les onze, on demanderait aux meilleurs médecins de nous les programmer pour gagner et on les offrirait à la France. En finale pour la Coupe du Monde 2020 : trois-zéro, deux têtes de l’aîné et une reprise de volée du cadet. Qu’est-ce que tu en penses ? Pour le coup on aurait vraiment fait quelque chose d’utile.

Elle me dit que c’est une belle idée, une idée généreuse. Nous trinquons et entamons la deuxième bouteille.

Je lui demande des détails sur son âge, son état de forme, si elle n’a pas de déformations, de souffle au cœur. Elle me répond que non, tout est ok. Je lui avoue que j’ai le pied droit qui tourne un peu, ce qui me donne une démarche de canard, un style chaloupé parfois. Elle ne voit pas de mal à ça. Elle pense même que cela peut être un avantage en milieu de terrain, pour pivoter plus vite sur soi-même quand la balle arrive des deux côtés à la fois. Je l’embrasse et elle m’avoue qu’elle est noble, qu’elle s’appelle De quelque chose… je suis sur un nuage, tout est un rêve, le rosé coule dans ses veines bleues et mes veines paysannes, le tiers-état unifié par le foot, quelle soirée magnifique, quelle femme parfaite.

A la fin de la seconde bouteille, nous chancelons jusqu’à un banc. Pas moyen d’aller plus loin. L’idée est bien sûr de ne pas perdre de temps, de nous reproduire le soir-même, en ce jour symbolique. Elle est partante et moi aussi, mais à ce moment-là la fatigue et autre chose nous submergent. Quand je comprends nos états respectifs, je lui explique que pour la santé de nos futurs champions (toujours ce fameux principe de précaution), il vaudrait mieux repousser la phase de procréation au lendemain. D’ailleurs elle s’est mise à gerber partout, et elle croit qu’il vaut mieux qu’elle rentre.

Nous échangeons tout de même nos téléphones sur des bouts de papier. Mais le sort veut que je perde le mien, et elle n’a pas rappelé, et voilà aujourd’hui où nous en sommes, à faire jouer des Nasri des Toulalan des Diarra, avec une relève incertaine.

Parfois j’imagine qu’elle et moi vivons dans un beau château que nous auraient prêté ses parents, avec de la pelouse tout autour, des cages, des ballons, des bites en plastique d’entraînement à contourner ou pour sauter par-dessus, comme au club de dressage de chiens. Nos petits champions, tels des Dalton du foot français, en pleine croissance, et alignés par âge, avec des posters de Rocheteau dans toutes les chambres. Le plus grand aurait presque quinze ans, et il serait fier de sa patrie.