Art et anthropologie

6 février 2012

Temps de lecture : 2 minutes

Bonsoir, je m’appelle chouchou. Bien sûr c’est pas mon vrai nom moi j’ai beaucoup de pseudonymes. Mon vrai nom c’est Abdelhahim. Alors je sais que ça peut choquer, mais je m’en fous pas mal. Je n’ai aucun tabou, je déteste l’hypocrisie et je vis très bien l’homosexualité.
J’ai enfouis mon pays il y a pas très longtemps, juste après les événements malheureusement. J’adore le tissu (…) Je supporte plus les barbes, ah oui la religion extrêmisme etc… ils nous ont trahi. Je me suis cassé vite fait. Alors je suis venu ici en France, je travaille place Clichy. J’ai beaucoup de clients, je leur fais leur fantasmes, mais attention j’ai mes limites. J’adore m’oublier, mais toujours en gardant les pieds sur les épaules.

et la suite là :

http://www.youtube.com/watch?v=7IYzqHMHby4

Le sketche Chouchou de Gad Elmaleh raconte l’histoire de jeunes algériens, d’abord d’Oran et d’Annaba, qui ont émigré en France à la fin des années 80 puis surtout dans le courant des années 90 pour échapper à la guerre civile et à une société où ils n’avaient pas leur place, comme l’explique Laurent Gaissad, anthropologue, dans son article « En femme » à la gare Saint-Charles (L’année du Maghreb 2010, Dossier Sexe et sexualités, CNRS Editions).

Celui-ci a mené une enquête de terrain sur la prostitution algérienne à Marseille et à travers de nombreux entretiens il raconte les histoires vraies de ces travestis que Chouchou incarne si bien.

Je suis convaincu que le Projet Histoires vraies se trouve à la croisée de nombreux chemins de la connaissance, et qu’à l’instar de l’anthropologue Eric Chauvier, qui utilise la littérature comme un moyen pour exprimer son sujet de recherche, l’écrivain doit envisager les techniques et protocoles d’investigation de la sociologie ou de l’anthropologie afin de s’approprier le réel. Chouchou est le personnage de fiction qu’il fallait créer pour parler du monde des émigrés travestis, et l’auteur Gad Elmaleh a réussi un portrait hilarant, émouvant, humaniste, de ces hommes-femmes courageux, tout comme Coluche, en son temps, décrivait la société française à travers des personnages comme le clochard, le CRS arabe, ou tout comme Fernand Reynaud décrivait l’époque des Trente Glorieuses à travers son personnage de « pauvre paysan » auvergnat, ou de type qui avait la tête à vendre des lacets.

Il me semble qu’un des objectifs principaux de l’art et de la littérature en particulier est de chercher à incarner son temps à travers des personnages: Balzac, Stendhal, Flaubert, Céline ou plus récemment Tristan Egolf, dans Le Seigneur des porcheries, n’ont pas fait autre chose.