Gracía

10 décembre 2011

Temps de lecture : 3 minutes

Barcelone, samedi 10 décembre

Il y en a pas un sur cent, dis-je à Olivier, assez dubitatif.

Mais pourtant ils existent, me répond-t-il, plein d’entrain. En tout cas ici ça a toujours été le quartier anarchiste de Barcelone.
Nous nous retrouvons pour l’apéro Plaza del Diamant, au cœur de Gracía, et comme pour lui donner raison, un cortège de jeunes cagoulés descend la rue vers nous.

Son de la manif

Un certain Roger est mort il y a 7 ans le 10 décembre, et depuis chaque année ils commémorent son absence : 7 ANYS SENSE EN ROGER, peut-on lire sur la banderole.
Ici à Barcelone, m’explique Olivier, tous les jeunes sont indépendantistes. Le catalan est la langue de l’école. L’espagnol est la deuxième langue.
L’autre jour j’étais au cinéma et il y avait un vieux couple assis près de moi. La femme parlait catalan et le mari répondait en espagnol. Et même le film était émouvant.
Pendant la dictature, les gens n’avaient pas le droit de parler catalan, il fallait parler cristiano, chrétien. Ils assimilaient l’espagnol au langage de l’église, du pouvoir central de Tolède, de l’oppresseur.
De leur côté, les fascistes disaient que le catalan est une langue mangée par les rats : pour dire pan (le pain) on dit pa.

Països catalans (photo d'Olivier)

Deux vérités infalsifiables, c’est-à-dire non scientifiques : les Espagnols seraient à la fois les meilleurs sportifs et les plus fatigués d’Europe. Sans lien de cause à effet, au contraire.
En Espagne le journal télé est à 21 heures, le film de première partie de soirée à 22 heures… Les Espagnols dorment peu, car en réalité peu ont le temps de faire la sieste.
Ce soir donc, à 22 heures, en lever de rideau de soirée, le Barça joue contre l’ennemi, le pouvoir central jacobin néo-Rajoyien, incarné par le Real de Madrid. Une équipe blanche, arrogante, avec leurs mercenaires achetés à prix d’or et cet imbécile de coquelet écervelé imberbe de Cristiano Ronaldo, dont le narcissisme n’a d’égal que l’humilité du petit argentin génial en grenat, passeur, buteur, Messi, qui s’amuse sur le terrain comme un gamin heureux, avec ses potes Iniesta et Xavi, deux autres perles de joueurs altruistes, intelligents, subtils.
L’armada d’egos du Real, à l’instar des héros grecs hystériques devant les murs de la Ville, avec leur entraîneur portugais mégalo mais barbu, sorte d’Agamemnon sec et coriace, jouent cette fois sur leur terrain et c’est l’heure de vérité, le Real a trois points d’avance au championnat, Barcelone la Troyenne a besoin de ces trois points, plus d’entourloupe, plus de cheval de bois : que le meilleur gagne.

Son du match

Le Barça prend un but idiot dans les premières minutes, mais réagit vite, confisquant la pelote. Le premier but est une merveille de passe en profondeur de Messi terminé par un diable tatoué de grenat. Le second est une frappe de Xavi aux 25 mètres, détournée par le Destin telle une flèche vers le talon d’Achille, une trajectoire cassée en deux, qui partait à gauche avant d’heurter Pepe (un autre imbécile à l’air méchant en défense centrale) et de se mettre à fuir Casillas vers le petit filet opposé.
Le ralenti de ce beau gardien peint en jaune, rampant sur l’écran pour revenir sur le ballon est une véritable scène de corrida. Le ballon se faufile et entre, léger, heureux de se vautrer dans les mailles de la cage. Toute la salle fait Olé.
Enfin le troisième but, et les autres qui auraient dû suivre, tant dans la seconde mi-temps la domination du Barça sur la pelouse du Real tournait à la démonstration, à la leçon de foot, est une fois de plus une belle action collective terminé par une tête de Fabregas, de retour d’Arsenal.

Le grand écran, avec sa traduction sur le côté pour les sourds (quelle bonne blague)

La justice et la morale étaient donc au rendez-vous ce soir-là à Gracía : la Commune des Troyens démontra une fois de plus toute sa supériorité sur ce conglomérat de talentueux guerriers du Roi sans âme. Ulysse devait être trop occupé à se raccommoder avec Pénélope, Athéna faisait la chouette, et Achille-Ronaldo rata ses occasions. Ni Dieu ni maître ! Y viva el Barça !