Une odeur de spectre

30 juillet 2012

Temps de lecture : 2 minutes

Le trois juillet 1992, mon père est en train de mourir du Sida à l’hôpital. Je lui rends visite l’après-midi, c’est très dur, il est resté très peu de temps, de vraies odeurs de mort sortaient de son corps.
J’ai quitté la chambre et je l’ai vu dans ses draps puis drapé dans un linceul. J’ai rencontré le grand chef Willy Rosenbaum devant l’hôpital. Je lui ai dit que j’étais la fille de mon père. Il était au bras d’une jolie femme. Je lui ai demandé quand il allait mourir. Il m’a répondu, désinvolte : si vous pensez qu’on peut savoir ces choses-là… J’étais jeune, j’avais vingt et un ans, j’ai détesté cet homme qui ne pensait pas à tous ceux qui crèvent mais juste à prendre son pied. L’odeur de mort est devenue plus âcre, pestilentielle, j’ai cru qu’elle s’accrocherait à jamais.
De retour à la maison j’ai pris un cachet pour dormir. On est très rationnels dans la vie. On ne vit pas avec la conscience d’une autre réalité. Je prends le cachet et je dors sans dormir. Je vois une ombre s’approcher de mon lit et quand je vois cette ombre je me dis qu’il est là pour me dire au revoir et j’ai l’impression de pouvoir toucher ce spectre : une forme blanche, physique, suffisamment présente pour que tu tournes la tête pour la regarder. Il se penche doucement, je comprends son intention, je regarde le réveil, 3 : 45 et je m’endors pour de bon.
Le matin, on me réveille, ma mère est là à mon chevet, m’annonce que mon père est mort. Dans la journée j’apprends qu’il est décédé à 3:45, oui c’est vrai je l’avais vu, et ça m’impressionne. Cette nuit je m’étais promenée dans cette autre dimension, à laquelle maintenant je crois, quand la réalité se déchire et te laisse voir les forces qui agissent.
Voilà mon histoire vraie. Une histoire vraie est quelque chose qui advient sans que tu le convoques, sans être préparé. Peut-être juste des pressentiments qui prennent, avec l’odeur.
Après que j’ai su l’heure de sa mort, je suis retournée à la chambre d’hôpital où il était encore. J’ai mis le nez à travers la porte et l’odeur était dissipée mais je ne suis pas rentrée, je ne suis pas allée dire au revoir à ce corps.

Constance – Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French