Un hôpital à la frontière

13 mars 2012

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En 1959, en Algérie, la guerre faisait rage. Les agents de police français et la gendarmerie interpelaient, torturaient et mettaient à mort toute personne « suspectée » de participer de quelque manière que se soit à, ce qu’ils appelaient, « une simple révolte de hors-la-loi ».
Un jour, dans la toute petite ville de Nédroma, près de la ville de Tlemcene et non loin des frontières marocaines, alors que ma grand-mère, qui n’était à l’époque qu’une jeune étudiante, se promenait avec sa tente et sa cousine, elle se fit interpeler par deux agents de polices français. Sa première réaction fut de leur demander ce qu’ils voulaient, mais les deux hommes ne dirent rien d’autre que : « veuillez nous accompagner au poste de police ! », et ils prirent avec eux les trois femmes.
Une fois au poste de police, on les jeta dans une cellule sans aucune explication. Puis, au bout se quelques heures, on les emmenât une à une dans une pièce isolée, pour les interroger. Quand ma grand-mère y entra, un officier ce mit à l’interroger, en émettant des informations totalement fausses : « nous savons que vous aidez des rebelles ; nous savons tous sur les agissements de votre famille, alors avouez ! ». Ma grand-mère, totalement surprise par ces propos, ne sut quoi dire.
Alors, effectivement, il est vrai que sa famille, qui était disons plutôt aisée à l’époque, a activement participé à la guerre : son père, qui était professeur, avait financé plusieurs opérations dans le nord-ouest algérien ; ses deux frères avaient pris les armes et étaient recherchés par les forces françaises ; et sa sœur avait du fuir car son mari était également recherché. Mais elle, la plus jeune de la famille, n’avait rien fait et n’y avait absolument pas participé, car sa mère était contre.
Elle tenta d’expliquer à l’officier qu’elle n’avait rien fait « d’illégal », mais ce dernier n’écoutait rien. C’est alors, qu’un officier oranais fit éruption dans la pièce ; il dit quelques mots, à voix basse, à l’officier français ; ce dernier fit une grimasse puis après quelques instant il laissa partir ma grand-mère avec l’oranais, qui était en fait un ami à son père. Mais sa tente et sa cousine restèrent enfermées encore quelques jours, avant d’être libérées.
Durant les jours qui suivirent, les parents de ma grand-mère cherchaient un moyen de la faire sortir du pays, pour sa sécurité. Mais, envoyer une jeune femme seule dans un pays étranger, ce n’était pas évident à l’époque, surtout que, dans ce pays colonisé, il fallait avoir un laissez-passer, soit l’autorisation de l’état, pour sortir du pays.
Mon arrière grand-mère décida d’envoyer sa fille vivre avec ses cousins, deux jeunes orphelins qui vivaient au Maroc, pas très loin des frontières algériennes. Et pour que ce soit possible, et qu’elle ait son laissez-passer, ils décidèrent de la marier à l’un de ses cousins : ils envoyèrent un faux certificat de mariage ; et pour qu’il n’y ait pas le moindre doute, ils lui préparèrent même son trousseau. Puis, elle prit le train pour passer les frontières avec sa mère et sa nourrice, comme si elle allait vraiment se marier.
Une fois au Maroc, en sécurité, il n’était plus question de mariage. Ma grand-mère, qui n’acceptait pas du tout cette situation, décida de vraiment participer à la guerre d’indépendance, en aidant les gents au maximum. Pour cela, ils ouvrirent un hôpital du coté marocain de la frontière, plus au sud, au point de passage des « soldats » algériens du ALN et du FLN : les Moudjahidines, qui allaient se réfugier au Maroc, et faisaient rentrer des armes en Algérie par le biais de l’armé des frontières qui réapprovisionnait les maquis de l’intérieur. Elle y travailla comme infirmière, soigna des blessés, vit des innocents mourir, et cela, jusqu’au cessez-le-feu, le 19 mars 1962.

Najoua Ouakkouche – Texte / Text
Histoire écrite en françias / Story written in French