Histoires vraies de Haute-Provence

La perquisition, par Alex

14 novembre 2020

Temps de lecture : 4 minutes


Une histoire collectée le 13 mars 2018 à Longo Maï

 

Alex est cofondateur et animateur de Radio Zinzine, une radio libre autogérée créée en 1981 dans la coopérative agricole et artisanale Longo Maï.

Transcription de l’histoire audio

 Cette histoire est marquée par un événement collectif, la perquisition qui a eu lieu ici à la ferme Longo Maï le 29 novembre 1989, c’était un mercredi.

Un déjeuner à Longo Maï en 1973.

Moi, ce jour-là, je croyais que ça m’avait rien fait. C’est-à-dire qu’il y avait eu cette perquisition dans cette ferme coopérative pour « rechercher des terroristes kurdes » comme le disait France Info à ce moment-là, au lever du jour. En réalité probablement pour savoir ce qu’il se passait au cœur de ce groupe qui titillait pas mal de services de police.

Je croyais que ça m’avait rien fait parce que quand le flic est arrivé avec son pistolet dans la chambre – beaucoup de flics sont arrivés de la même manière parce qu’il y en avait 250 de toutes catégories, on était avec Tracy dans le lit qui était au-dessus et je suis descendu de l’échelle pour lui dire : « Enchanté ! »

On avait l’impression que ça pleuvait comme sur un canard et pendant toute la journée où on était confiné à l’intérieur. Il y a eu des interrogatoires après au commissariat de Manosque. Moi ça s’est terminé à 23 h. J’avais vraiment l’impression que finalement ce truc-là m’avait pas touché, même l’interrogatoire. Je leur racontais des histoires, ils me demandaient : « Est-ce que vous connaissez un tel ? », je disais : « Non, c’est le PKK. » On parlait de l’histoire de la Turquie. On parlait de l’ANC, tout ça. Je leur parlais de sujets que je traitais à longueur de journée à la radio ! À un moment le supérieur du mec qui m’interrogeait a dit : « Écoute on mange ou pas ? » Il commençait à avoir faim le mec. J’étais convaincu que je les avais eus. Même si c’était quand même eux qui étaient venus chez nous ! Et sans qu’on les invite !

Le studio de radio Zinzine à Limans.

Les mois passent. On avait un appartement à Paris à l’époque et il s’est passé deux choses. Ça devait être 6 mois ou un an après. Cette histoire qu’à la fin de la vie ou pendant des chocs, il y a des films qui se déroulent, j’y ai jamais cru… Mais il se trouve qu’une nuit… L’appartement se trouvait au dernier étage et quand on avait perdu la clé ou qu’on l’avait oubliée, on pouvait passer par les toits d’Hara Kiri juste en face et par les échelles de secours, arriver sur notre toit et entrer par la petite porte de la terrasse.

Il se trouve qu’une nuit je suis réveillé avec une appréhension, une espèce de peur, je ne savais pas sur le moment mais c’était un copain qui rentrait comme ça. Et dans cette peur, il y a le film de la perquisition qui se déroule ! Cette journée dont je pensais qu’elle n’était pas imprimée, je croyais qu’elle ne m’avait pas impressionné, mais elle s’est déroulée dans ma mémoire en quelques secondes : j’ai revu toute la journée !
Quelques jours après – et c’est comme s’il y avait une conjonction, c’est pour ça que c’est marquant. On va avec Johannes, un copain, pour interviewer… Comment il s’appelle… Il chantait : « Ça doit être bien. D’être de quelque part. D’en partir et puis d’y revenir. Surtout quand on est de nulle part. » Ah oui ! Béranger !

On part avec Johannes et notre magnétophone dans la petite rue de la Bûcherie, près de la Seine. Et je croise un mec. On croise plein de mecs à Paris ! Mais ce mec-là, il me disait quelque chose de vraiment particulier. Ça me travaillait vraiment et au bout de 50 m ça me revient ! Je reviens sur mes pas. Le mec était toujours là au bout de la rue. Je lui tape sur l’épaule « Bonjour Christian ! ça va depuis la dernière fois qu’on s’est vus ? » Et là il me regarde et là je savourais. Parce que c’était à lui que je disais quelque chose et je voyais qu’il cherchait, qu’il mettait l’accélérateur et c’était un professionnel…

Je l’aide un peu : « Souvenez-vous, vous étiez venu un matin en Provence, vous étiez pas invités ! » Finalement ça lui revient « Ah Longo Maï ! » C’était celui qui m’avait interrogé jusqu’à 23 heures. C’était une espèce de flic antihéros, pas cow-boy du tout, un côté assez simple. Modeste, mais consciencieux : c’est les pires ceux-là ! Très sérieux, il notait tout.

C’était l’époque où on montait la pièce de théâtre sur la Révolution française et donc je l’ai invité : « Que faites-vous ce soir ? Cette fois-ci, vous êtes vraiment invité… » Il n’est pas venu, il a dit qu’il était désolé, qu’il avait de la famille…

Alex