Histoires vraies de Haute-Provence

La chasse à la gazelle, par Antoine

14 novembre 2020

Temps de lecture : 4 minutes


Une histoire collectée le 23 mars 2018 à Lurs

 

Transcription de l’histoire audio

 J’habitais à Toulouse à l’époque et je venais de travailler pendant 6 mois comme couvreur, chez des Compagnons, et j’avais un peu d’argent. Parce que j’avais travaillé 6 mois, en 6 mois on accumule beaucoup d’argent en étant ouvrier sur les toits, c’est bien connu… et je me suis dit qu’il fallait que je parte en voyage avec tout cet argent, que je profite un peu de tout ce pactole.

C’était en 1976 et tout le monde… enfin dans mon esprit, tout le monde partait en Inde et moi je voulais pas faire comme tout le monde donc j’ai dit je vais aller en Afrique. Je ne pouvais pas prendre l’avion, j’avais pas l’argent, et donc je me suis dit : « Je vais y aller par la route. » Quand je commence à me renseigner, je vois qu’il y avait à ce moment-là la guerre avec les Saharouis et les Marocains, donc la frontière entre l’Algérie et le Maroc, à ce moment-là c’était pas très facile, et puis moi c’était la première fois que je partais vraiment loin, donc je savais pas trop.

Donc je me dis : « Je vais assurer, je vais prendre le bateau à Marseille et je vais aller jusqu’à Alger. Au moins je serai déjà en Algérie. » Mon idée c’était, après, de traverser le désert. À l’époque, si vous vous souvenez, il y avait du côté de Nîmes plein de gars qui vendaient des camions en Afrique noire. Ils les descendaient au Niger à travers le désert. Je progresse jusqu’à Ghardaïa, Tamanrasset : c’est là que je rencontre ces fameux marchands de camions et de voitures, qui faisaient des convois. J’embarque avec eux et on avait… je ne sais pas… peut-être 6 ou 7 camions, avec chacun un camion ou une voiture dessus et ils transportaient des gens en plus. Et en partant de Tamanrasset, ils avaient fait une provision de bois pour pouvoir cuisiner pour tout le monde en faisant des feux, dans le désert. Ils avaient acheté un mouton et on l’a mangé à Noël.

Le Hoggar, à proximité de Tamanrasset. Crédit.

On continue la route, c’était donc la semaine suivante, c’était le réveillon du jour de l’An et on n’avait rien ! Juste des conserves, des fruits secs, des légumes, qui restaient depuis 15 jours et voilà qu’on aperçoit une gazelle qui court comme ça dans les dunes. Et voilà les gars – qui étaient un peu marteaux, qui commencent à poursuivre la gazelle avec les semi-remorques pour essayer de l’attraper.

Les dunes du Sahara au nord du Niger. Crédit.

Alors, ce genre de bête ne peut pas courir très longtemps, parce qu’après, elles ont des problèmes cardiaques. Mais elles vont très vite, elles changent de direction très vite, alors vous imaginez avec le semi-remorque comment on peut suivre une bête qui fait des virages dans tous les sens.

Moi j’étais dans un camion qui était sur la remorque, alors vous pouvez imaginer comment on était cramponnés, on était 3 sur les sièges avec le camion sanglé sur la remorque de l’autre camion et on faisait des bonds dans tous les sens, on se cognait partout et à un moment on est arrivés à un oued et bien sûr la bestiole elle a sauté, elle a traversé, c’était tout sec, mais ça faisait peut-être 1,50m, peut-être plus, et le camion il est arrivé à 90, ou à 100 à l’heure et a sauté dans le truc. On se disait : « Mais ils vont nous tuer ! »

À un moment la gazelle en pouvait plus, elle s’était arrêtée, et le gars, il braquait à fond, il faisait un cercle autour mais il pouvait pas s’approcher de la gazelle, parce qu’avec le semi-remorque il tournait en rond et la bête elle bougeait pas, elle reprenait son souffle, elle le regardait. Le gars descend du camion – les autres ils nous avaient perdus, ils suivaient plus, et il descend. Il n’avait pas de fusil, il était avec un pied de biche et il essayait de s’approcher de la bestiole pour essayer de lui filer un coup. Finalement on a réussi à l’avoir, voilà, et on a fait un merveilleux réveillon… la pauvre gazelle ! On a fait un merveilleux réveillon sous les étoiles, on a fait un méchoui de gazelle sous les étoiles au nord du Niger.

On l’avait mérité, nous, on était plein de bleus. C’était un magnifique réveillon parce qu’on était allongés sous les étoiles, avec le feu… Et voilà, on a mangé chacun un petit morceau, on était nombreux, au moins une vingtaine à faire la traversée. 

Antoine