Histoires vraies de Haute-Provence

La femme de l’aven, par Jean-Pierre

19 octobre 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Illustration du texte par Fanny Blanc, parue dans La Provence.

Je vais vous raconter l’histoire pétillante de mon arrière-grand-oncle. Je vais vous situer un peu les lieux. Vous savez que dans Cruis, on avait un très bel aven [appelé l’abîme de Cruis, note de l’éditeur], qui a été bouché depuis, et qui rejoignait soi-disant la Fontaine de Vaucluse. Un berger avait jeté un bâton et il avait resurgi à la Fontaine de Vaucluse. Ça, c’est la légende. L’aven, c’est la vérité.

Mon arrière-grand-oncle s’appelait Joseph Chabus, il est né en 1841 et avait convolé en justes noces avec une certaine Marie Motet. C’était une très belle femme, mais elle avait un petit défaut, elle avait un peu la cuisse légère…

Alors au début tout se passait bien, mais le problème c’est qu’un été, un bel officier de l’armée d’Algérie est venu passer ses congés à Cruis et cette Marie Motet en est tombé follement amoureuse. Elle en a fait son amant pendant l’été et le problème, c’est qu’ils n’ont plus voulu se quitter. Et elle, elle ne savait pas comment annoncer ça à son mari Joseph Chabus.

Croquis de l’aven de Cruis, 1993.

Elle a imaginé un scénario. Elle est allée déposer ses habits au bord de l’aven pour faire croire qu’elle s’était suicidée en se jetant dedans et elle s’est cachée dans sa famille en attendant de pouvoir rejoindre son officier reparti en Algérie.

Quand il ne l’a pas vu rentrer le soir, mon grand-oncle Joseph a commencé à s’inquiéter, c’était normal. Il a commencé à aller voir les voisins : « Marie, elle n’est pas rentrée ». Ils ont attendu toute la nuit. Marie n’est pas rentrée. Finalement, ils ont décidé le lendemain matin de faire une battue. Ils ont réquisitionné tous les gens de Cruis. Ils ont fait les champs, dans le village, sous les granges, dans les caves… Finalement ils sont montés, ils sont arrivés à l’aven et ils ont vu les habits de Marie au bord. Ils en ont donc déduit « qu’elle s’était jetée dedans » comme on disait à l’époque. Ils sont vite descendus chercher le curé.

Le curé a dit : « On ne peut pas laisser une si bonne chrétienne au fond du trou. Il faut aller la chercher. » L’oncle Joseph a fait tout le tour du village. Il a réquisitionné toutes les cordes. Il a fait une chèvre sur l’aven, il a emprunté un panier en osier pour servir de nacelle et il s’est fait descendre avec une poulie par la chèvre. Seulement, il n’est jamais arrivé au fond : l’aven était trop profond ou les cordes trop courtes, comme vous voulez. Il n’est jamais arrivé et ils l’ont remonté, bien entendu. Ensuite le prêtre a dit : « Eh bien ce sera sa sépulture », et il a béni.

Joseph faisait doucement son deuil quand il a reçu une lettre d’Algérie, de sa femme, lui racontant tout ce qu’elle avait fait. Et c’est là qu’il s’est aperçu qu’il n’était pas veuf, mais cocu !

Jean-Pierre, histoire recueillie à Cruis