Histoires vraies du Dedans

Ma carte postale, par Chanez

3 juin 2020

Temps de lecture : 2 minutes

Cette histoire est tirée du volume 3 des histoires vraies du dedans dans le cadre des ateliers menés en 2016-2017 aux Quartiers des femmes du Centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille par Bruno le Dantec et Sylvain Prudhomme

Maintenant, j’ai une cellule à moi, avec ma déco. J’ai une serviette bariolée que je mets sur mon lit tous les matins. J’ai un mur bleu. J’ai mis la photo du mannequin de Versace avec un torse large. Elle est bleue aussi, la photo. J’ai mis un homme, un black enchaîné, avec des grains de café sur la poitrine.

J’ai affiché mon papier d’appel, pour que je prenne bien conscience que je suis en détention pour quinze ans. J’ai une petite serviette en guise de tapis de bain, bleue aussi, même couleur que mon mur. Non, c’est vraiment agréable quand je rentre dans ma cellule. C’est comme une petite chambre d’hôtel.

Avant, même les fenêtres ça jouait contre nous, parce qu’elles étaient trop hautes. On sentait vraiment l’enfermement, on n’avait aucune vue sur l’extérieur. Là, les fenêtres sont dans les normes, elles sont plus grandes. Elles sont insonorisées. On peut s’imaginer ailleurs quand on ferme la vitre et qu’on fait un travail sur soi.

Là je suis au troisième, devant moi, franchement, j’ai une carte postale. Je vois le vieux mur en pierre, je vois la forêt, je vois un bout de ciel. Je suis trop contente de voir le bus à neuf heures terminer son service, de voir les poubelles passer, de revoir le bus au matin prendre son service, avec le bruit d’air comprimé qui s’échappe… Moi je prends ça comme si j’étais dans une résidence fermée et ça joue sur mon moral. J’ai une route qui part dans la colline en face de moi. Je pense aux voisins, à ce qu’ils voient. Nous on voit leurs belles maisons. Eux ils voient la prison. J’observe les arbres. Il y en a un qui est différent des autres, plus brun, moins vert, il ressort du paysage.

Pour vérifier si la petite du dessous n’a pas perdu la tête, je la teste, je lui demande de temps en temps « Alors, il est où Charlie ? » Et la petite, elle me le montre : un arbre marron parmi tous les arbres verts. Pour être sûres qu’on n’est pas en train de devenir complètement perchées, on se fait le test l’une l’autre.

Chanez, Marseille