Le frère d’Afrique

30 mai 2020

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Il y a dix ans, raconte Nasser, je me suis mis à penser à mon grand frère, Brahim. Lui est à moitié africain par sa mère, et à moitié libanais par mon père. Il vivait avec nous au Libéria, puis qu’il nous a quitté pour faire sa vie, il est devenu prof et il passait parfois encore à la maison, avec ses tee-shirts de couleur ou de style Charleston qui mettaient mon père en rage.

Il y a dix ans, mon père est mort, et on s’est rassemblé en famille, pour écrire la nécrologie. Y figurait mon nom, celui de mes frères et sœurs, mais pas celui de Brahim. Vous avez oublié quelqu’un, j’ai dit. Ils m’ont dévisagé, ils le connaissaient tous. J’aimerais que mon frère figure là. Alors ils l’ont rajouté.

Un de mes cousins, qui était proche de lui, me dit, tu sais que Brahim, c’est plus son nom ? Comment ça ? Quand il a quitté la maison de ton père, il est allé travailler avec la mission catholique, il a fini ses études avec eux, et il a pris un nouveau nom, celui de Prosper Cosby.

Comme Nasser a envie de retrouver son frère, le coupe Rana, j’essaye de le googler, avec toutes les orthographes possibles, pour la Côte d’Ivoire. Selon les cousins, Brahim est devenu ambassadeur, ou même membre du gouvernement. Finalement je trouve une liste de Prosper Cosby avec les numéros, je me mets à les appeler, et finalement je tombe sur un employé qui me dit que son boss s’appelle Prosper Cosby, que vous êtes au numéro de son bureau, rappelez tout à l’heure, que j’aie le temps de vous trouver son numéro personnel !

Allo Brahim, c’est bien toi ? reprend Nasser. Oui c’est moi, comment va maman, et papa ? Il est mort il y a trois jours. Il encaisse la nouvelle, et décide de venir au Liban nous voir. On lui trouve le visa, il débarque, passe un mois avec nous, puis je vais avec lui en Côte d’Ivoire, car il a organisé une cérémonie là-bas aussi, en l’honneur de notre père.

Aujourd’hui Brahim est à la retraite. Il travaille pour le gouvernement, avec la Banque Mondiale, ou l’IFC, ou ses projets à lui. Il voulait monter une grosse usine de poulets, et que je l’aide à diriger ce projet. Il avait acheté la terre, construit quelques bâtiments. À l’époque il connaissait bien les gens au pouvoir, mais son parti a été évincé, et le projet s’est arrêté. J’y suis allé un mois, mais il n’y avait pas de boulot, alors je suis rentré.

Moi aussi je suis d’une famille africaine, me dit Rana. Ma mère est née en Afrique et elle n’est rentrée que quand elle s’est mariée. Tous ses oncles et tantes vivent encore là-bas, dont un en Guinée, avec lequel on a gardé des liens par téléphone, et qui nous assure toujours qu’il va venir nous voir.

Une nuit il appelle ma mère. Il faut qu’on lui réserve une chambre dans tel hôtel connu, à Hamra, pour le 21 et 22 septembre. Tu es sûr que tu vas venir ? insiste ma mère. Parce que tu dis toujours que tu viens et tu ne viens jamais. Mais non, là il est sûr. Alors ma mère réserve, mais personne, il ne vient pas. On essaie de l’appeler, pas de nouvelles. Et un mois plus tard on apprend qu’il est mort, justement ce jour-là, le 21 septembre.

Tu comprends François ? Parfois il est aussi difficile de partir que de revenir.