Journal intime de Nestor Monastyrev

11 avril 2013

Temps de lecture : 3 minutes

Lors de la révolution russe en 1917, l’escadre de la Russie était placée sous le commandement du contre-amiral Behrens. Son équipage étant composé principalement de mencheviks, ne pouvait absolument pas revenir en Russie, par conséquence ils ont immigré avec leurs familles en Tunisie. Parmi eux, il y avait un écrivain et historien Nestor Monastyrev qui rédigeait un journal intime. Les textes ci-dessous correspondent aux premiers jours passés en Tunisie.

Jour 151 :
15O jours passés sur la mer Méditerranée, 150 jours dans la misère et le désespoir, 150 jours ou l’espoir s’émiettait au fil des minutes. Et voila c’est fini ! « Je vois la Terre » – cria le capitaine. J’avais lancé un bref regard à l’horizon… et ce splendide paysage m’avait hypnotisé, je n’ai encore jamais vu une telle beauté pleine de grâce et d’harmonie. La mer était d’une couleur turquoise et se mélangeait avec le ciel, d’une façon qu’on savait plus de quel coté le regarder. Ce cocktail de couleur mettait en valeur le relief très large et le littoral très proche. Je me suis senti comme chez moi. Rien n’encore m’a paru aussi proche de mon âme et aussi loin de mes imaginations.
A peine on a posé les pieds sur Terre qu’on nous a annoncé que notre pays d’auberge se nommait la Tunisie. « La Tunisie ? » me dit je. Un pays dont j’ignorais totalement le nom. Pourtant j’ai voyagé beaucoup dans ma vie, j’ai découvert autant de civilisation que n’importe quel explorateur, mais la Tunisie… jamais. Jamais avant, dans ma vie je n’avais entendu parler de ce pays. Par la suite on nous a informé que c’était une des colonies françaises et que tous nos biens (nos bateaux principalement) seraient donnés à l’état français afin de nous donner le droit de résidence dans ce pays.

Jour 152 :
Première nuit passé, premières impressions faites. Malheureusement notre argent n’avait aucune valeur sur ce territoire. On ne pouvait rien acheter, rien consommer. Seulement vendre nos habits, nos accessoires afin d’avoir quelques francs pour le plus essentiel : le pain et l’eau. Le port où on vendait nos affaires était en pleine activité économique, tout le monde bougeait, achetait, vendait, arrivait, etc. Les tunisiens achetaient avec enthousiasme les montres, les poupées russes qu’on retirait de nos enfants, les chapeaux, et d’autres vêtements. Les tunisiens m’ont paru très gentils et très amicaux. Même qu’une fois, pendant que je faisais mon commerce quotidien, un tunisien m’a gentiment proposé son aide. Il se nommait Mohamed. Ce jeune homme connaissait réellement les prix des objets que je vendais et m’a permis de vendre assez pour me nourrir. Il commençait à m’apprendre quelques mots en arabe, mais je n’étais pas un bon élève. La nuit tomba, une gentille dame a hébergé nos enfants, mais par contre nous, les adultes, devions rester au port sous une couverture.

Jour 153 :
Ce jour là, Mohamed m’a fait visiter la ville de Bizerte. Premièrement il m’a ramené dans une mosquée, où il a prié. « C’est un espace sacré »- m’expliqua-t-il. J’ai trouvé quelques ressemblances avec nos églises, mais cela restait quand même étrange pour moi. Deux entrées, une pour les femmes et une autre pour les hommes. Une salle immense où on pouvait bien mettre une centaine de personnes, avec des décorations typiquement arabes et bien sur avec un lustre gigantesque et extraordinaire au milieu du plafond. La manière dont Mohamed prie m’a aussi beaucoup impressionné, tout d’abord devant la mosquée les tunisiens enlèvent leurs chaussures, puis ils entrent avec le pied droit. Ensuite ils s’alignent tous et ils suivent l’Imam qui est juste devant eux. Je ne me suis jamais senti aussi proche et en même temps aussi lointain de ces gens là. Leur culture et leur foi m’ont fasciné et m’a rappelé qu’on est tous des frères et qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui nous unit, et en même temps leurs traditions me rappelèrent que je suis un étranger. Cependant la nostalgie et le patriotisme envers mon pays ne m’a jamais quitté.
Puis on est parti à la Medina, grande comme une ville et intéressante comme un livre. Un lieu où les vœux peuvent se réaliser. Elle contenait toute sorte de marchandises, commençant par des produits alimentaires de tout les gouts, jusqu’aux chefs-d’œuvre en or. Mohamed m’a dit qu’on peut toujours trouver une Medina dans n’importe quelle grande ville du Maghreb. Toutes ses histoires sur la vie en Tunisie étaient très intéressantes et touchantes, et même si je comprenais à peine, j’ai compris l’essentiel : « le bonheur est là, où on n’est jamais arrivé».