Souvenirs de prison, par Souleyman Khatib

4 mars 2013

Temps de lecture : 2 minutes

Parfois, la tension est telle qu’un fou rire parvient à désamorcer l’angoisse. Palestinien originaire de Ramallah, Souleyman Khatib a été emprisonné en Israël dès son plus jeune âge. Il milite aujourd’hui au sein d’un programme pour le rapprochement israélo-palestinien.

Transcription en français de l’histoire vidéo en anglais

 Je suis incarcéré depuis de nombreuses années déjà. En tout j’ai passé presque dix ans dans les prisons israéliennes, à partir de l’âge de quatorze ans.

Je me souviens de ce jour, nous sommes une dizaine dans la cellule, et le film à la télé est un film sur l’holocauste, le premier film que je vois de ma vie sur le sujet. Et tous, alors que personne ne fait attention à nous, nous les prisonniers considérés comme dangereux aux yeux des Israéliens, nous pleurons devant l’écran, nous sommes tous très émus.

Après le film, les problèmes habituels reprennent avec la police israélienne et je me souviens du conflit qui s’installe en nous, avec d’un côté le souvenir poignant des images du film, de l’autre la réalité de la prison gouvernée par les Israéliens. La situation cette fois encore dégénère. Pour maîtriser les prisonniers, ils n’utilisent pas la violence dans l’enceinte de la prison, mais ils ont l’habitude de lancer des gaz lacrymogènes dans les cellules. Et c’est ce qu’ils font : ils tirent et on est asphyxiés, on se met à pleurer. On met des oignons sur nos nez, mais pendant deux ou trois minutes il est très difficile de respirer, c’est vraiment dur à supporter.

Pour les anciens détenus comme moi, ce n’est pas un problème, on sait comment procéder, mais dans notre cellule il y a un nouveau qui ne sait pas quoi faire. Et qui ne sait pas non plus qu’il ne faut surtout pas mettre de l’eau sur son visage, parce qu’avec l’eau le gaz vous brûle la peau.

Donc ce type, Emad, panique et comme il ne sait pas quoi faire, il court aux toilettes, plonge sa tête dans la cuvette des WC et se met à crier : « Hawa ya Allah hawa ! » [De l’air, mon Dieu, de l’air !] Il s’adresse directement à Dieu à travers la cuvette des toilettes et dans la cellule tout le monde se met à rire, on ne peut plus s’arrêter.
Cette histoire a fait le tour de la prison et on se l’est racontée longtemps…

Souleyman Khatib, adaptation de l’anglais par François Beaune et Fabienne Pavia