Fakri, par Nourhène

5 février 2013

Temps de lecture : 4 minutes

Transcription en français de l’histoire audio en italien

Brindisi en 2007. Crédit : Andrea Fistetto

Fakri est un garçon de vingt et un ans. Il est arrivé à Brindisi [dans les Pouilles] le 14 février 2010 avec la révolution tunisienne. Fakri est venu en Italie, non pas parce qu’il fuyait la révolution… pas non plus à cause de la faim. Il venait chercher sa mère. Sa mère qui l’a abandonné quand il avait six mois. Il a vécu une vie très particulière en Tunisie, avec une sœur, dans une chambre de trois mètres carrés, avec un père qui s’est remarié et les a abandonnés.

En fait, il a été un père et un frère pour cette sœur, qui a abandonné la Tunisie avec lui, le même jour que lui. Elle aussi est venue clandestinement, mais elle ne s’est pas arrêtée à Brindisi. Après Lampedusa, leurs routes se sont séparées. En effet, elle est allée en France, alors que Fakri est resté en Italie pour chercher sa mère.

Nous avons trouvé sa mère. Quand Fakri l’a appelée, elle répond qu’elle ne veut pas entendre parler de lui, qu’elle a refait sa vie et qu’elle ne veut même pas le rencontrer. Il lui demande s’il peut juste la voir et elle lui dit non. Nous avons dit à la mère qu’il n’avait pas besoin d’elle financièrement, ni pour les papiers, mais qu’il voulait seulement connaître la vérité. Lui, il cherchait cette vérité, pourquoi sa mère l’avait abandonné, et elle a refusé.

Fakri, après cette conversation avec sa mère, a malheureusement eu des problèmes psychologiques. Il a commencé à dire qu’il avait abusé de sa sœur, il voyait en moi sa mère, il me disait que moi j’étais sa mère, il me demandait en pleurant « Qu’est-ce que mon père t’a fait ? ». Enfin il a eu ce problème psychologique, de la schizophrénie presque.

Ensuite, il est resté en Italie avec les amis qui étaient arrivés avec lui – qui ne le connaissaient pas cependant, il les a rencontrés pendant le voyage – qui l’ont soutenu quelque temps au centre de Brindisi. Puis ils ont été transférés au centre de Caltanissetta. Il a gardé le soutien de ces amis, mais au centre de Caltanissetta, l’état psychique de Fakri a empiré, si bien que ses amis l’ont mis sur un bateau pour retourner en Tunisie. Moi, maintenant, j’essaie d’avoir des nouvelles de Fakri parce qu’il est à Zarzis, un village du sud de la Tunisie, il est vraiment mal, pire que quand il est arrivé en Italie.

En effet, selon moi, l’Italie a été pour lui une régression dans sa vie, parce que Fakri était bien mentalement avant d’arriver en Italie. Puis, en Italie, il n’a pas eu le soutien qu’il aurait dû avoir après l’impact avec sa mère, après ce choc. Maintenant, il est en Tunisie, tout seul, on ne sait pas où est sa sœur, ils n’ont plus de contacts, il est devenu… clochard, malheureusement. C’est une histoire qui m’a vraiment fait… qui m’a énormément touchée, parce que l’immigration, d’habitude, sert à améliorer notre situation, alors que, dans ce cas, elle l’a empirée.

La questure de Brindisi

– Où as-tu rencontré Fakri ?
– Fakri, je l’ai rencontré en travaillant à la questure, à Brindisi. Quand, à la question « Pourquoi… » (il y a cette question lors de l’identification), « Pourquoi as-tu émigré », il m’a répondu « je veux chercher ma mère ». C’est-à-dire qu’il n’a répondu ni pour le travail, ni à cause de la guerre, mais seulement « je veux chercher ma mère ».
– Et maintenant, tu as des nouvelles ?
– De Fakri, oui, la seule chose que je sais c’est qu’il est à Zarzis. Des gens l’aident, d’une certaine façon, pour manger, des gens du village. Mais malheureusement, mentalement, il n’est pas stable.
– Qu’est-ce qu’il fait toute la journée là-bas ?
– Rien. Ah, on m’a dit qu’il prie, il a commencé à prier énormément, il va à la mosquée. Malheureusement, c’est quelque chose qui me fait peur, parce que ces personnes faibles se font recruter par des personnes plus fortes pour faire certaines choses qui ne sont pas correctes. Si la prière avait été une volonté de sa part, peut-être qu’elle lui ferait du bien, mais je ne sais pas s’il a les capacités mentales pour décider.
– Et il travaillait, avant ?
– Oui, Fakri travaillait à Zarzis pour un cirque italien. Il était très bien. Il pouvait venir légalement en Italie avec le cirque, mais…
– Que faisait-il au cirque ?
– En fait, il faisait assistant au cirque. Il montait le chapiteau, le démontait, il faisait des travaux manuels pour le cirque. De fait, il parlait très bien l’italien.
– Mais il voulait venir en Italie pour y rester un peu?
– Non, il avait un objectif : retrouver sa mère. Quand il l’a trouvée, il a été refusé par sa mère, et ça l’a bouleversé… Il faisait aussi le médiateur avec les autres occupants du centre, c’était vraiment un garçon avec… on parlait, on plaisantait… Je regrette presque d’avoir trouvé sa mère et le numéro de téléphone de la mère, sincèrement. Enfin, j’ai regretté, parce que si ce garçon n’avait pas trouvé sa mère, s’il n’avait pas entendu sa mère qui le refusait, peut-être qu’il serait resté en Italie, il aurait fait quelque chose d’autre dans la vie de positif, alors que là, le fait d’avoir parlé avec sa mère, et la mère qui a dit : « Non, ça ne m’intéresse pas, je ne veux pas le voir, j’ai ma vie et je ne veux pas voir mon fils »… et encore, même pas « mon fils » mais « cette personne »… ça l’a détruit. Cela aurait été mieux de ne pas la trouver, la mère, parce que c’était un garçon brillant.
– Tu peux le décrire un peu ?
– Oui…
– Comment il était ?
– Physiquement ? Fakri a les yeux bleus, un garçon d’un mètre soixante-dix environ, des cheveux très clairs, presque… il n’est pas blond, mais châtain clair, le teint clair, un beau garçon.
– Et il vient d’où, en Tunisie ?
– Zarzis. De Zarzis.

Nourhène Chouchane
Traduit de l’italien par Meridiem