Plumes d’Amour

23 décembre 2012

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J’aime mon épouse. Mais l’amour qui nous lie n’est pas celui du monde moderne. C’est l’amour des contes, l’amour des princesses, l’amour de Cyrano. C’est une promesse éternelle de vie commune, partagée, à porter le regard dans la même direction. Et cette promesse d’amour, signe de notre liberté humaine, a eu comme témoin la Nature même. En voici la petite histoire, vraie.

J’aime mon Jeannot. Mon Jeannot, c’est elle. Son petit surnom. Mais c’est aussi moi, mon petit surnom. Un Jeannot, c’est doux, c’est attendri et c’est tendre. Une caresse, une peluche et une confidence. Un même surnom pour deux personne puisque il s’agit d’un même amour. Il nous unit avant tout. Avant même qu’il ne soit vêtit d’un aspect officiel, nous formions déjà une même personne. Car deux personnalités différentes peuvent bien s’orienter vers une direction choisie commune, s’accorder un sens commun. Et notre amour est ce sens commun, inébranlable, puisque construit pierre par pierre en une citadelle.

Cependant, il arrive un moment où, quel qu’en soit notre bonheur, nous ne vivons pas seuls. Il existe tout un monde autour de nous, avec des amis chers, de la famille et des inconnus. Alors, notre amour s’il est véritablement grand, se doit d’être partagé, étendu à tous et rendu officiel. A la fois pour partager notre bonheur commun et pour prendre ce monde a témoin de notre promesse éternelle. Et ce partage s’appelle un mariage. Alors, certes, dans toute société, un mariage requiert ses codes, ces traditions, et même pour certain, quelques lourdeurs. Mais il reste avant tout ce partage, une façon de montrer aux êtres chers que nous étendons notre amour vers eux. Dans ce but, un tel évènement est préparé avec minutie, avec précaution. Notre tendresse doit transparaître dans chaque détail, discrètement mais avec clarté. « S’il vous plait, ne nous regardez pas nous, mais soyez attentif à cette petite fleur bleue en papier, ajoutée délicatement au petit ballotin que nous avons cousu pour chacun de vous ». Alors un mariage devient une attention délicate au lieu d’une soirée mondaine.

J’aime aussi les oiseaux. Je contemple la nature, je la scrute, je l’étudie, je lui attribue des chiffres et des équations. Mais, avant tout, j’admire sa beauté et j’aime les oiseaux. Ils portent en eux cette magnificence de voler qui nous les rend visibles à nos yeux émerveillés. Chez certains, des couleurs pastels ou chatoyantes ravivent notre attention. Enfin, les précieux volatils ont la charmante idée de se mettre à chanter. Et ce doux chant, outre qu’il soit cristallin, virtuose ou fuyant comme l’eau d’un ruisseau, est caractéristique de chaque espèce. « Ah je vous reconnais, vous, mésanges charbonnières, métronome des futaies ! Très cher Rossignol, même si jamais je ne pourrais t’entrapercevoir, j’écoute ta symphonie. Petit rouge-gorge, pourquoi ton chant semble-t-il si triste ? Attribuer des noms aux choses et aux êtres vous les rend familiers. Alors ces oiseaux, que je vois, que j’entends jour et nuit, ils sont comme de mes amis. Et mes amis sont invités à mon mariage.

Nous avons donc, mon amie et moi, conviez la gente aillée, à la cérémonie et au diner qui suivit. Pour chaque invité, nous avions choisi une espèce d’oiseau. Reparties en différentes familles comme autant de tables, un petit animal décorait le menu de chacun, lui annonçant son partenaire avien pour la soirée tout comme les plats qu’il allait déguster. Les tables en sont devenues vivantes. Certaines rigolaient, s’étonnaient ou se demandaient qui donc avait la grue, la bécasse ou le pigeon. Mais tous ont compris, que ces petits oiseaux constituaient notre petite attention pour chacun deux, notre geste de partage d’amour. Et j’étais heureux que ce fussent les oiseaux, dans toute leur élégance, les messagers de cet amour.

Heureux. Heureux de notre promesse, heureux d’avoir réjouis tous nos amis réunis, mon Jeannot et moi sommes rentrés chez nous, à savourer notre bonheur en imaginant notre personne uni et construit le sens de notre vie. Nous jouissons de la tendresse, du soleil d’été comme du simple regard amoureux. Nous habitions alors une petite maisonnette de campagne, abandonnée à l’avancée du lierre et au souffle du vent du soir. Nous passions nos journées dans les champs brulants au Zénith, les forets rafraichissantes et les prairies savoureuses. Nous retrouvions en chair et en plume, tous ces oiseaux qui nous avaient accompagnés sur le papier brillant. Ils volaient, chantaient, se cachaient de notre regard admiratif et attendri. Au crépuscule, nous rentrions vers la chaleureuse douceur de la maison, mangeant sur la terrasse de pierre et sous les étoiles.

C’est au cours d’un de ces crépuscules étoilés que nous reçûmes un étonnant message. Nous avions laissée la fenêtre de notre chambre ouverte toute la nuit, et ce soir-là, en regagnant nos chambres, nous surprenons un oiseau qui se débattait dans le rideau. Affolé, il virevoltait dans tout l’espace de la petite chambre, se cognant aux quatre murs, aux meubles et au plafond. Le petit oiseau ne trouvait pas la fenêtre en cherchant à nous fuir en hauteur. Dans un moment de répit, nous nous apercevons enfin qu’il s’agit d’un petit rouge-queue noir, un oiseau champêtre dont on appréciait le matin même le chant fluté entrecoupé de froissement de feuille de papier aluminium. Tentant de l’attraper pour lui montrer le chemin de la fenêtre, l’oiseau, tétanisé de stress, s’affole de plus belles en se cognant le crâne jusqu’à en tomber évanouit. J’en profite pour le recueillir, constater son crâne blessé puis le poser délicatement sur le bord de la fenêtre. Assis sur le lit dans la pénombre, nous attendons son envol qui ne tarde pas et le rouge-queue s’enfuit dans la nuit claire. Réjouis par cette courte visite, nous rallumons la lampe pour constater les dégâts et nous découvrons sur l’oreiller deux longues plumes caudales de la couleur ocre orange qui donnent son nom au rouge-queue. Si cette perte a surement représentée pour l’oiseau un handicap jusqu’à la prochaine mue, nous la prenons comme un présent. Pour nous, dans notre petit monde d’amour et de tendresse, nous nous reconnaissons dans ces deux uniques plumes. Tout ce que l’oiseau avait de coloré, de chaleureux sur son plumage, nous croyons qu’il nous la légué. Nous avons le bonheur, l’illusion et la poésie de comprendre ces deux plumes comme un remerciement de l’ensemble des oiseaux pour les avoir invité à notre mariage. Ces petites plumes et cette courte visite font étrangement rappel aux dessins qui ornaient nos tables dressées. C’est le message de la Nature : « Nous aussi, sommes témoins de votre amour, et par ce présent, nous vous adressons notre reconnaissance pour nous avoir convié parmi vos amis, et notre bénédiction pour le bonheur à venir ». Oh bien sur, nous sommes bien ridicules. C’est de la poésie, du sentimentalisme anthropomorphique. La réalité est bien différente. Mais c’est pourtant si beau de penser cela. C’est notre vérité d’amoureux et dès lors notre petit secret avec cette nature que nous admirons tant. Notre promesse réciproque en est devenue d’autant plus forte et belle.

Nicolas Lieury – Texte / Text
Histoire écrite en français / Story written in French