Souvenir de Port-Saïd

4 mai 2012

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Je me rends à un concert bâché sur la plage, côté Port-Fouad. Une barge nous fait traverser le Canal de Suez. Voitures et piétons s’entassent. Les motos faux-vieux modèles chromés, Dayun, phares carrés, fausses Honda et fausses Suzuki chinoises, attendent dressées sur le perron qui va se rabaisser.

Le taxi est bloqué un bon quart d’heure par un mariage dont les voitures bouchent le rond-point. Les garçons d’honneur ont loué des BMW rouges et payent leurs respects aux jeunes mariés en une danse nuptiale de dérapages contrôlés sur le bitume gravillonné. Les pneus crissent, les gens patientent, habitués, admirent le spectacle.

Mariage et dérapages (cliquer pour voir la vidéo)

Des paysans, des chauffeurs, des ouvriers de l’usine de chocolat, de l’usine de textile, ou de l’usine Coca, sont venus écouter leur groupe local, Tanbura, du nom de l’instrument, une guitare sans manche, les cordes tendues, étoilées, sur une caisse en bois ou peau. La Simsemilia est plus petite que la Tanbura, et harmonise sur la même gamme définie par les cordes. Un vieux fellah souffle dans une flûte en roseau. Deux tambours calent le rythme.

Les chanteurs se relaient pour animer le plateau par leurs chants et leurs danses.

Les hommes chantent ensemble, puis chacun leur tour, dansent comme des paons à la fin de chaque tirade. C’est leur soir de fierté et ils bombent le torse, tout sourires. Les jeunes petit à petit s’enhardissent, viennent danser, montrer les nouveaux pas, leur vigueur. Il y a quelques filles à quelques tables, sous la tente en plastique, sur les chaises en plastique jaunes. Elles ne font pas de bruit, elles regardent de loin sans regarder.

Un des joueurs de Simsemilia, solitaire, le visage penseur, est en retrait de la joie. Il ne participe pas à la fête. Que lui est-il arrivé ? S’ennuie-t-il des airs répétitifs de son folklore ? Pour s’accorder et se chauffer les doigts, j’avais remarqué qu’il avait interprété un air de musique classique qui prouvait sa maîtrise de l’instrument, plus subtile que ces airs populaires. Il semble triste comparé aux autres, et je me demande s’il n’aime pas la musique au-delà du sentiment de communion qu’elle procure, s’il ne l’aime pas à l’occidental, en esthète plutôt qu’en tant que membre de son groupe.

Le seul solitaire de la soirée

Est-ce que c’est ça la modernité ? S’extraire du clan, aborder la mélancolie ? Être subitement incapable de communier avec les autres ? Réclamer trop? Concevoir un ordre individuel (ordre idéal) quand la réalité répète que l’individu n’est rien, que c’est la société qui aime et accouche et fonctionne?

L’individu est un désordre particulier. L’extase masochiste que provoque en chacun ce désordre vaut-elle que l’on quitte la danse avec les potes ?