Cagar or not cagar

8 décembre 2011

Temps de lecture : 3 minutes

Barcelone, jeudi 8 décembre

Hormis la vieille ville de part et d’autre des Ramblas – Barrio Chino renommé Raval pour faire moins peur à gauche, Barrio Gótico et Borne à droite, bien rénovés – Barcelone est une ville de pâtés de maison carrés taillés comme des diamants. Pas d’angles droits, et la vie sociale rassemblée dans les vides des triangles de ces coins de rue manquants : un bar avec terrasse, un bureau de tabac, ou un marchand de journaux, quelques voitures garées, une poubelle pour le verre, une pour le papier, un sac en toile à anses pour les gravas, une boîte aux lettres. Ils ont rogné les coins de rue, et l’espace gagné est celui de la communauté, un espace lent, un zigzag pour piétons, une pause, gagné sur le passage et l’envie de continuer son chemin. Les taxis peuvent s’arrêter un court moment sans gêner la circulation. Les habitants se retrouver à leur coin de rue pour boire un verre dehors.

Barcelone

Mais Barcelone est avant tout une ville comme les autres : H&M, Fnac, Carrefour Market, Mango : voilà ce qu’est une ville : ce qu’elle commerce. Les putes du Raval sont en vente libre (la prostitution, m’a-t-on expliqué, est allégale), mais le marché de Noël est comme tous les marchés de Noël d’Europe : l’étalage éphémère du besoin hideux de gaspiller en pensant à sa famille. Seule particularité amusante : le rapport que les Catalans font entre la merde et Noël (qui après coup m’est apparu comme évident). Dans toutes les crèches traditionnelles, les Catalans doivent faire figurer le Caganer, un genre de gobelin en bonnet phrygien, culotte baissée, en train de chier, qui est interprété aujourd’hui par nos plus hautes célébrités : Obama, le Pape, Rajoy, Ben Laden, Merkel…

Le Caganer

Autre coutume : celle de la bûche, El Tió, affublée de deux voire quatre pattes en bois, grimée d’un côté d’un sourire et de deux yeux innocents, qu’ils vont menacer d’un bâton toute la Noël pour qu’elle chie des Turrones (du nougat) plutôt que des harengs :
Caga caga Tió
No cagnis harengades
Que son masa salades (trop salés)
Caga Turrons
Que son mes bons (meilleurs)
Caga Tió
O adonare
Cops de Basto

Barcelone

Ils ont vu juste : Noël est le moment scatologique de l’année et la Catalogne est à la hauteur de l’événement. D’ailleurs on ne devrait pas dire : je t’ai offert un beau cadeau mais je t’ai chié une belle merde. Les chiens font bien cadeau de leurs étrons. Dans nos vœux nous devrions tous souhaiter redécouvrir le coprophile caché en nous. Oh comme c’est gentil, quelle belle merde, pourrait-on dire à la belle-mère, en découvrant la série d’assiettes…
Noël est aussi un grand moment d’exagération, et les Catalans ne craignent de faire descendre non seulement les trois rois mages Gaspar Balthazar et Melchior par la cheminée mais aussi leurs chameaux (deux syllabes donc deux bosses, ce qui ne facilite pas le passage). Sur et sous la cheminée, ils préparent des coupettes de Cava, le champagne du coin, pour les hommes et les bêtes, et le matin miracle tout a été bu : les enfants sont heureux, les parents ronflent.

Barcelone